de mèche (lu)
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Estelle Jacquet-Prior a écrit dimanche 20 juillet 2008 à 07:24 am
Objet : Claire Pietra et plancher, tous deux parlent
Document publié dans la presse. Montage photos (quatre détails), à partir de
3 panneaux de bois gravés (exposition urbaine par-devant Hôpital Sainte Anne, Paris),
accrochage vertical, avec pied métallique et coffrage de verre (type mobilier Decaux).
nos mots, Jeannot
Texte : Claire Pietra. Conception : Rédac’Orfil
Musique d'après Tom Waits
nos mots, Jeannot
et si je trouve les mots de Jeannot,
peut-être, trouverais-je les miens
pourrais-je lire, qui sait, les tiens ?
mais il dit quoi, Jeannot ? il dit :
mon lit, c’est un donjon
entouré de la douve profonde,
creusée par mes propres mains
avec acharnement, il dit :
je suis Vauban, je fortifie ma citadelle
à quatre pattes pour la rendre imprenable,
je me protège, par l’infranchissable fossé de ma souffrance,
d’un monde par trop incommuable, il dit :
je poinçonne mon sol,
je lamine contre la prochaine hostilité
de germaniques invasions inévitables ;
avec tous les petits trous de la chanson
moi, Jeannot, je cause cunéiforme ;
de cette écriture primale pour extraire les maux de l’origine,
graffitée par un ratier sur le plancher de ma solitude,
je sonde, jusqu’à l’infini, ma mine, il dit :
en enfer, c’est une rivière incandescente,
elle enchâsse un des rochers-lits escarpés de Dante
sur lequel, damné de l’inutile comédie,
je m’accroche, il dit :
des limbes océaniques,
entre les cornes du caprin,
le souffle tenace sur les cordes tendues par un sauvage
fait résonner les sensations caves de mon crâne, il dit :
entendez-vous ce vent vibrer
à travers la multitude des trous de ma flûte-parquet
juste au-dessous de mon corps allongé ?
je vais me coucher
je plonge dans le causse racleux mes plantes de pied ;
la caresse confirme, active, la carte perforée
d’un système binaire, complexe et sophistiqué ;
c’est la partition musicale retranscrite sur les cartons d’orgue
je la rejoue à chacun de mes passages obligés ;
je m’allonge, et depuis l’oreiller, je jauge Styx ;
la menace file-là, tranquille,
la brasse paisible, il dit :
c’est mon Danube devant Zemun ;
avec ma longue vue, tout en haut de la tour de garde,
je scrute l’arrière-pays, par-derrière la crénelure ;
les garnisons oublieuses et avinées sommeillent en bas dans le marais
aux aguets, sur l’avant-poste de Beograd, marche de la chrétienté,
juché sur mon cénotaphe, armé de ma seule corne de brume,
vigilant, j’alerte le quidam en cas de mouvements suspects
dans la tumultueuse marée de joncs alentours, il dit
les interminables alignements de ronds dans les encres brunes de Vincent Van Gogh
interrompent les radicales rangées de traits ; ses paysages japonisants,
comme mes incantations maléfiques, pour l’inexpert abusé, falsifient la redoutable trace
des impacts en mitraille, innombrables et puis il dit :
la chambre, la chambre close,
mon ultime refuge à moi, avant la mort : l’antichambre ;
je me lève à pas d’heure, mes pieds nus, aussitôt,
replongent dans l’œuvre en cours mais dans ce cours de l’œuvre
à la chute du sommier, je retombe dans le flux du lit magistral ;
immuable, mon écriture est toujours là,
aux quatre pieds du lit, comme ma douleur,
inaltérable, il dit :