« Que Tal, François ? »
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« Rédac’Orfil », l'équipe, a écrit le samedi 17 mai 2008 à 04:41 am
Objet : s'énoncer
Les
"Néo-Orfiliens" écrivent ou s'écrivent. Pad, fidefériste-conteur, écrit
à Jo, célèbre comédienne, régularisée "Orfilienne" par amitié. Faites
comme lui, envoyez vos textes, vos idées, vos billets d'humeur, vos
chroniques à :
chronic’orfil@mayfair.com
lundi 07 avril 2008
Pouvoir s'orfiler
----- Message -----
Pad a écrit le lundi 07 avril 2008 à 11:59 pm
Objet : s'épouser
Jo, ma jolie Jo,
Alors j'ai dit à Lau, tu sais, Laurence, la critique de « l'Express », je lui ai dit quand elle m'a demandé :
- Mais que fait Jo, sur des tréteaux, sous ce chapiteau à saltimbanques en lambeaux ?
J'ai dit :
- T'as pas vu, Lau, comme elle est belle, Jo ? Dis-moi, Lau, t'as pas vu Jo, non ?
On
sortait de la Cartoucherie à Vincennes, ta ménagerie brillait dans la
nuit, on roulait vers Paris pendant que tu repliais les accessoires de
« L'Homme qui rit », vers la coulisse.
Lau, elle a dit au volant de son fiable et robuste Land Cruiser :
-
Partie d'avec Brigitte Jacques, escales chez Bernard Sobel ou Christian
Ritz, on ne l'attend pas forcément entre la cage du lion borgne et
celle des singes catarrheux !
- Enquête plutôt, sur qui nourrit les
fauves, Lau, j'ai dit, au lieu d'éplucher le rapport du contrôle
sanitaire réglementé par le ministère de tutelle. A l'autre bout de la
pique qui embroche la bidoche avariée de Daktari, tu trouveras John, le
fondateur, devenu manchot, du bastringue de Cornouailles. On quitte
tous les deux Jo, à l'instant, sur scène. Elle se donne à voir, pour
nous, comme seul John, ne l’aimera jamais.
Tu as donc dîné avec Louis Lhombre, ton Lou à toi, notre poète thaumaturge parisien, en vue, à nous tous.
(
« T'as vu le dernier spectacle de Lhombre. Non ? Vas-y, c'est beau.
Comment dire, c'est juste et c'est beau, quoi ! » -un autre témoin,
plus en verve, exulte- « Il faut absolument aller voir le dernier
Lhombre, social et politique, c'est trop beau ! Jean Vilar est revenu !
» )
Pendant mes nuits encore libres, j'écris ta scène de
retrouvailles avec Louis. Son personnage de l'auteur est élégant,
féminin, ce qu'il faut, souriant comme l'Immaculée Saint Nazaire. Ses
mains flottent, en suspension, au dessus de vos assiettes et enchantent
la conversation. Sa générosité s'arrête à la subtile limite de sa
courtoise retenue. Sa discrétion est bordée par sa pudeur d'apparat,
prisée chez les Windsor. Le personnage féminin, le tien, est vêtue du
vaporeux ensemble de Blanche dans « Un Tramway Nommé... » d'Elia Kazan.
Rêvons ce tête-à-tête boîteux entre Blanche de Bois et Tennessee
Williams, un soir de fol espoir. Elle porte sous son irrésistible robe
de mariée, une ceinture lourdement chargée d'explosifs. La soirée se
passe dans un esprit de franche camaraderie, « next age » convenu.
Je t'en dirai plus.
«
Que tal, François ? », mon récit que tu reçois depuis quelques mois par
épisodes, s'élabore au rythme de ma promenade-surprise. Je m'étonne
moi-même, comme pour une cueillette aux morilles, découvertes souvent
derrière l'arbre qu'on n'attend pas.
Te rendre visite, au centre du monde ? L'idée ne me manque pas. On en parle ?
Je t'embrasse.
Pad.
dimanche 13 avril 2008
Goya grave
Estelle, fidèle Orfilienne et chauffeure de son état, patiente souvent en file, à la station de taxi, Place Gambetta. Estelle a vu l'expo « Goya, Graveur », au Petit Palais, programmée jusqu'au 8 Juin.
----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le dimanche 13 avril 2008 à 05:23 am
Objet : cette lettre lue
Bonjour Néo-Orfiliens,
Je ne me trompe pas. Le sujet de mon récit évoqué hier dans mon dernier message à Pierre-Alain est bien le sourire imperceptible de la lectrice peinte par Goya, son torse irradiant, sa longue jupe noire « encre de poulpe », l'ombrelle inclinée de sa complice, le chuchotement des lavandières à l'arrière et les barres de la cité au lointain mais aussi ce que ne me raconteront jamais un historien d'art, un commissaire d'expo ou un conservateur de musée : la banquette libre dans la salle du musée face à l'oeuvre d'art d'où je me contemple, moi, Estelle, blogueuse épistolière. Le voisinage du panneau gauche me ricane son « Que Tal ? » cadavérique. Résonne en moi cette « seconde d'éternité » suspendue dans mon désir qui me murmure l'érotique de la phrase, la caresse des mots et bien d'autres histoires intimes encore.
Ma première rencontre avec cette divine et goyesque liseuse est une vieille histoire de famille.
Alain
Jacquet, mon oncle, le pop'artiste français, somnole aujourd'hui
paresseusement, grâce à son manifeste « Grand Déjeuner Sur L'Herbe »,
oeuvre emblématique de sa lointaine jeunesse, au bord de sa piscine
californienne.
Je suis sa nièce, seule héritière vivante des trésors
artistiques conquis par le fruit de son authentique génie pictural
parfois reconnu. Alain possède un fond remarquable sur la
correspondance privée du peintre officiel à la cour madrilène :
Francisco Goya. L'accès libre à cette documentation m'a permis
d'extraire de façon certaine la lettre, le double, celle que le peintre
figure dans la main droite de la Toledina, lavandière plus connue sous
le nom de María del Pilar, duchesse d'Albe dont l'artiste est amoureux
fou. Francisco s'y attribue le petit rôle du Yorkshire-Terrier docile,
frétillant et quémandeur. De son affection débordante, vous appréciez
comme moi, sa mise en scène malicieuse dans une lumière de « Quartz »
indécents.
A
vous, chers Orfiliens, de débusquer cette lectrice présente sur une
seule lithographie datée de 1819 dans l'expo du Petit Palais à Paris.
Son implication scénique directe diffère mais la Toledina, la cible,
est encore et toujours là.
Le diptyque exposé au Palais des Beaux
Arts de Lille dont le panneau droit s'intitule, « La lettre ou les
Jeunes » et le panneau gauche, « Que tal ? ou les Vieilles » est issu
d'un ensemble plus vaste de neuf éléments : « Ennéade d'un jour mais de
nuits aussi », également en possession d'Alain et décrit minutieusement
dans le courrier personnel de l'artiste espagnol.
A la demande
d'Alain auprès de la conservation du musée lillois, « La Lettre » et «
Que Tal ? », ces deux sujets indissociables ont renoncé à leur parade
dans la Rotonde éclairée par de joyeux vitraux consacrés à la promotion
des artisanats d'art dont les industriels du nord furent très friands.
Pour le nouvel accrochage, un espace plus discret a été préféré dans la
salle du haut, à côté des deux « Gréco », propice à l'enchantement.
Les sept panneaux absents de Lille sont entreposés dans le coffre d'une banque à New York.
Mon
oncle négocie activement avec un grand musée international pour créer
l'évènement majeur de ce début de siècle en matière artistique. Il
révèlerait à la connaissance du public, cette oeuvre dans son
intégralité, inouïe et cachée depuis deux cents ans.
Quelques
heureux savent la chose pour en avoir seulement entendu parler.
Dévoiler « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi » relèguera le
bicentenaire du « Dos y Tres de Mayo » à Madrid au rang d'agréable
péripétie.
Une telle exposition créerait un choc mental comparable à
l'effet produit par la découverte des quatre gamins qui s'engouffrèrent
à la suite de leur chien en 1940 dans un boyau souterrain. Ils mirent à
jour, ce 12 septembre là, dix huit mil ans après leur disparition dans
l'oubli, les fresques de Lascaux. Howard Carter en 1922, fascina le
monde entier avec sa trouvaille : la tombe intacte de Toutankhamon.
Avant Paolo Veronese, il faut se dire, Orfiliens, qu'aucun oeil n'avait
vu à cet instant là de l'humanité, ce vert là.
Une
envie peu commune de Caprices avec Goya vous démange. Tous les
chauffeurs de taxi, Place Gambetta connaissent Estelle, la chauffeure
guide. Je vous embarque pour Lille à partir du 25 avril et vous offre
en prime ma traduction originale de cette lettre signée : " Francisco
Goya " et intitulée : « a la Toledina (los veinte de enero, dos mil y
ocho) ».
Il est un peu plus de cinq heures du matin. Je vous
souhaite à tous, un bon réveil. Je planque en ce moment à Roissy 2, en
course immobile toute la nuit. Il fait un temps de chien, magnifique.
Bloguez, faites-nous comprendre ce que vous croyez comprendre. Soyez patients avec Pierre-Alain, on y gagne et lui aussi.
A vous lire.
Estelle.
dimanche 27 avril 2008
c'est parti…
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Estelle Jacquet a écrit le samedi 26 avril 2008 à 05:17 am
Objet : cette lettre relue
De retour vers vous,
Je rentre à l'instant de Lille.
Au
lieu d'enquêter parmi mes potes chauffeurs, autour de la Place Gambetta
comme je l'ai indiqué dans mon premier message sur « Blog'Orfil »,
François Ziegler a trouvé plus court de me contacter par le blog en
personne. Au rendez-vous pris à l'angle de la rue des bien nommés «
Partants » et la rue des Pyrénées, à cinq heures du matin dans la seule
Brasserie ouverte de si bonne heure, François ne cache plus sa surprise
devant moi lorsqu'il découvre une femme si jeune qui lui sourit.
Amateur avisé de bowling, j'imagine, il juge au premier coup d’œil dans
quelle catégorie de boules classer mon crâne impeccablement rasé de
frais. Nous glissons sur l'autoroute Nord en direction de la capitale
des Flandres. A dix heures, ultimes cafés bus à la baguetterie en face
du Palais des Beaux Arts, François et moi patientons sous les immenses
portes d'entrée qui s'ouvrent à l'heure affichée devant une esplanade
lumineuse, de cette lumière douce du nord.
Je défais mon bagage, je souffle et je suis à vous.
J'ai
fait part de mon amusement auprès de Pierre-Alain quant à l'apparition
d'une rubrique « Petites Annonces » sur son blog. A quand celle de la
météo ou bien l'autre, incontournable, celle des faits divers ? Les
derniers évènements survenus dans la rue Orfila en mon absence
l'alimenteront sans difficulté.
Bises orfiles
Estelle
mardi 29 avril 2008
Orfil bas
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Pad a écrit le mardi 29 avril 2008 à 09:21 pm
Objet : urgent
Pourquoi ? Jo,
T'as
pas pu t'en empêcher. Il a fallu que tu fasses ton numéro. Lau m'a
raconté. Au moment de quitter les pelouses du Bois à Vincennes, après
vos dates de « L'Homme qui Rit » d'Hugo, au lieu de rejoindre sans
vague, votre campement d'hiver, au centre des mondes, t'es venue
enfumer sur toute sa longueur, la ruelle sans fin de Lau, avec le
convoi des bahuts et la totalité des roulottes processionnaires du «
Burning Down Theater ». Tu t'assures des critiques bienveillantes de
son canard pour les décennies à venir.
Rien d'absurde, je t'en
conjure, dans son étonnement. Son imagier de lion bigleux et de singes
aux supplices est un peu rude, je le reconnais, mais ?
J'aurais
quand même aimé être là quand Teddy, l'apache, est descendu, impassible
de la cabine du trente cinq tonnes en tête de votre kilométrique queue
leu-leu. Il a sûrement croisé ses gros bras tatoués sur son bide
rebondi. Les autres véhicules de la troupe, en enfilade, se sont
alignés, puis immobilisés. La rue fut full, totally full et ça, au delà
du bout.Tous les carrefours bloqués hurlaient à la klaxonnade pendant
que Lau te servait une tasse de café, chez elle, un étage just'au
dessus du tintamarre.
Oui,
notre Louis Lhombre n'a pas obtenu, cette année, le prix « Louis Delluc
». Ce sera donc au tour d'Abdellatif Kechiche. Ma télé était allumée.
J'ai vu le visage tendu de ton Lou au dessus de son costard de gala
pendant qu'Abdellatif se levait. Le récompensé est monté sur le
plateau. Il a reçu sa distinction de meilleur auteur sous les applauses
de la « grande famille » du spectacle. Je me suis arraché de mon divan.
J'ai enfourné une pizza du congélo dans le micro pour six minutes
trente.
Qu'est devenue ma niaque pour écrire ton dîner d'amoureux en
chasse croisée ? Aide-moi, Jo. J'en fais quoi de son pétard mouillé à «
Blanche » sous sa douceur vaporeuse en organdi blanc, brodée de
tristesse et de regrets ? Dis-moi : cette "Barbie démente" fut-elle
enrôlée, telle une servante de sexe et d'agréable compagnie comme sujet
pittoresque d'étude et d'écritue, selon les besoins de l'artiste ? Se
reconnaît-elle, proie consentante, qu'en penses-tu ?
Je n'arrive pas à croire à ton départ définitif du « Burning Down Theater ». Et John ?
Descendre voir ton campement de base en Biscaye ? Je n'ai toujours pas trouvé de date, quelle horreur ! Cet été, je serai sur les routes de France pendant que toi, à Londres, tu accompliras le rite au « Shakespeare's Globe », anniversaire de saint William, notre patron à tous, oblige.
Ecris-moi, vite.
Pad
Vendredi jeudi 1 mai 2008
s'y frotte, s'orfile
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Estelle Jacquet a écrit le jeudi 01 mai 2008 à 04:17 am
Objet : cette lettre baclée
Orfilia,
Pierre-Alain
n'a pas retenu, pour enrichir son blog, ma proposition de rubrique «
faits divers et avariés ». J'avais pourtant avec François Ziegler une
matière riche. Un souci survenu au retour de Lille, à l'entrée de
Paris, l'a dérouté vers l'Hôpital Pitié-Salpétrière. Ma « Chronic'Orfil
» lui sera dorénavant dédiée sans y joindre le document filmé de la
voiture accidentée, enregistré sur mon téléphone portable.
La durée
de son séjour hospitalier, assez long selon son entourage, entretiendra
durablement les raisons de ma rubrique. François s'est pris de
sympathie pour ce blog qui distrait utilement ses nuités interrompues
par les soins successifs et la noria de visites personnelles et
professionnelles, le reste des journées.
François occupe un poste de
responsabilité au sein de l' « O.M.S. ». Médecin de formation, ses
fonctions actuelles relèvent du champ politique, à la jonction du
diplomate institutionnel et du gestionnaire de sous.
Ses cheveux
gras et rares, son ventre relâché, ses épaisses lunettes qu'il néglige
de chausser correctement sur son visage tavelé, sa silhouette de gentil
géant appartiennent à un quinqua mûr. Tout nouvel interlocuteur face à
lui, l'étonne par principe et provoque souvent un sourire sur ses
lèvres d'enfant qu'il efface aussitôt par une élocution laborieuse.
Laissons
tranquilles Genève, New York, Devlali aussi, ce petit village indien
perché sur les Gaths occidentaux d'où François revient, sa dernière
mission. Nous étions restés à Lille, non ? Les salles de l'expo Goya au
Palais des Beaux Arts s'ouvraient.
François, amateur d'art
confirmé, connaît bien les « Caprices » rassemblés dans ces mûrs. Le
bicentenaire du « Dos de Mayo » constitue un bon prétexte pour
célébrer. Mon premier courriel publié dans ce blog et consacré à «
Ennéade d'un jour mais de nuits aussi » pique sa curiosité. L'ensemble
de cette oeuvre mythique, constituée par la volonté du maître tout au
long de sa vie, au grand complet et réunie chez un seul collectionneur
existerait donc selon cette chauffeure avenante.
Réflexe du scientifique, François ne néglige pas cette hypothèse. Il étudie, il analyse.
A
Lille, j'ai mes habitudes. Le portier de l'Hôtel au déboulé de la gare
« Europe-Flandres », à l'enseigne british de circonstance, n'est pas
surpris par mon retour :
- Une ou deux chambres, Estelle ? La 404 et 406 ? Un seul soir ? Je ne vous conduis pas ?
A
la sortie des « Caprichos » de Goya, j'abandonne François, quelques
instants, le temps d'un détour dans la salle des collections
permanentes, celle de « La lettre » et « Que Tal ? ». Une importune, de
dos, feuillette un dépliant touristique. Elle s'impose sur la
molesquine noire de ma banquette face au diptyque estropié de ses
vérités. Je dévale, furieuse, les escaliers sans un regard pour les
vitraux de la Rotonde. La Toledina verrouille son point gauche sur la
hanche. Le soleil tappe sur son chemisier. Sa copine s'acharne sur le
mécanisme défectueux de l'ombrelle. La mort sur le panneau gauche,
faute de faux mieux affûtée, brandit une serpillière.
François
m'attend au buffet du Palais dessiné de fond en comble par l'ami déco
des musées, Philippe Starck. Ma colère ne faiblit pas.
Je vais défiler.
Estelle.
dimanche 4 mai 2008
une "italienne" ou un orfil'age ?
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Pad a écrit le Samedi 3 Mai 2008 à 11:52 pm
Objet : ciné monde en vue
Tu joues, Jo,
Dans
la scène de tes retrouvailles avec Lou, j'ai distribué les rôles
autrement. Je te propose celui de Lily. Lily porte la robe vague, floue
et claire de « Blanche ». Ce sera la seule référence au personnage
mythique du « Tramway ». Lily est une ancienne et repentie fumeuse.
Elle mordille pendant toute la scène un bâton d'anis. Elle manipule
cette tige entre ses doigts effilés, mime nerveusement un porte
cigarette.
Le décor est un "intérieur nuit" : un restaurant de
quartier, un soir de forte affluence. La clientèle des tables
environnantes est celle des résidents du quartier. Habitués des lieux,
les convives s'installent aux dernières tables encore libres, selon
leur entrée. Ils se reconnaissent d'une table à l'autre, se saluent.
Le
personnage de Lou, l'auteur parisien en vue, ne sera plus un magicien
lettré mais Gérard, un commercial, collègue de Lily, tous deux salariés
d'une grosse boîte de sécurité.
Lily, s'est faite belle. Elle porte
une robe à volants indociles. Elle papote cul avec Gérard qui l'écoute,
assis en face d'elle, tout sourire dehors. Ils se installés à une
petite table au fond de la salle d'un restaurant à deux pas de leur
agence "S.M.S.", l'incontournable "Still More Secure". Les voisins du
moment sont des familiers de l'endroit, des gens d'ici pour beaucoup.
Lily raconte la fin d'un désir avec un ex, l'autre, un intime prédécesseur de Gérard, candidat à la succession du malheureux :
-
J'enfonce le bouton de la sonnette. Je patiente sur le palier d'entrée.
Mon ami de l'époque m'ouvre sa porte. Dans l'embrasure, l'audacieux
sourit, timide. Un autre homme, par derrière lui, se retire dans une
pièce contiguë, muni d'un appareil photo. La prise de vue est
suspendue. Les épaules mâles de mon shoot model surgissent d'une robe
fourreau satinée et rouge sang. Ses poils vigoureux débordent du
décolleté ou bien s'entassent en amas sur ses jambes gainées. Une
perruque blonde encadre ses joues bleutées par un rasage frais. Ses
lèvres fermes dégorgent d'un pot de confiture à la groseille. Le ricil
soutient son regard de balourd. Il a jailli vingt centimètres plus haut
qu'à l'accoutumé, surélevé par de téméraires chaussures à talons, ces
cothurnes des antiques tragédiens, la troupe à Eschyle.
Je me
retourne vers l'escalier, arrivée tout en bas dans le hall entrouvert,
je respire l'air frais de la nuit. J'estime ma tolérance constituer une
faible capacité pour l'endurance.
Lily
raconte son fiasco. Gérard entend toujours et savoure au fond de la
salle du restaurant. Il frémit aussitôt pour la petite culotte offerte
avec insistance par une de ses anciennes amies à lui. La lingerie est
transparente par devant et l'arrière s'ouvre à l'extrême du possible
puisque son fond, réduit à deux sangles, se rattachent sans autre
artifice à la ceinture.
- Enfile-la tout de suite, exige cette amie
pernicieuse, avec son haut assorti, aussi. La vaisselle, l'aspirateur
et les courses t'attendent mon chéri, comme ce magnifique accessoire
oblong, mon manche à moi.
Elle a coutume, dans la rue, d'accompagner le tapotement de Gérard sur le cul par un petit sourire entendu.
Je crois savoir, Jo, comment te raconter une folie pour une autre. Mon histoire de Lily et Gérard ne sera pas entravée par nos souvenirs : la hauteur des flammes qui détruisirent l'atelier et toute l'oeuvre peinte d' Eric, le scénographe de Lou Lhombre. On ne verra pas, non plus, le corps inerte de Victor, son chef op' retrouvé au petit matin dans la chambre d'hôtel, ni la trahison amoureuse d'Elisabeth, mon assistante de l'époque, avec notre juvénile créateur d'alors, reconnu depuis, référence artistique nationale. J'interprétais dans son premier long métrage, « Très Creuse Caboche », mon propre rôle, celui du fildefériste qui à la fin, chute. Ces traces indélébiles s'inscrivirent sur le script de mon unique participation à ce monde merveilleux du cinéma.
Tu
m'annonces ton retour à Paris pour fin mai. Débordé comme jamais, je
programme ma tournée estivale : festivals de rue, animations sur les
parkings de super marché, une télé aussi, avec Patrick Sébastien. J'ai
même une date pour un gros mariage dans le bordelais !
Ton prochain
séjour parisien me simplifie la vie. Je serai discrètement cet été à
Londres, au théâtre du Globe. Je te donnerai la réplique dans « Ophélie
» devant des milliers de spectateurs imaginaires tandis que mes
chaussons à semelles de feutre glisseront doucement sur le filin
rectiligne, tendu à la pointe extrême et délicate du toucher, à
l'horizontale parfaite, dix mètres au dessus du vide. Mes badeaux
admiratifs s'enivreront des bannières flottantes, arrimées sur les
frontons d' "Intermarché".
J'insiste, excuse-moi : quittes-tu
vraiment le « Burning Down Theater » ? As-tu mis ton ami John, le
fondateur de la troupe, dans la confidence ?
Je t'embrasse, mon amie.
Pad
vendredi 9 mai 2008
maman, bobo'rfil
----- Message -----
Pad a écrit le vendredi 9 mai 2008 à 01:23 am
Objet : Quijote a dit
Tu m'as quitté, Jo,
Pour
Lou. Quant au « Burning Down Theater », doit-il me laisser indifférent
alors que tu n’es jamais vraiment partie ? Pourquoi jouas-tu masquée
avec Louis ? Fut-il possible de soupçonner, à cette époque-là, votre
vie d’amoureux à tous les deux ?
J'improvise, c’est mon tour, une
histoire de haute voltige mais avec Jeanne V. Aucune confusion possible
sur son nom, elle vient de tourner avec Guillaume L. Jeanne, aussi,
exige comme toi, la dissimulation. On se voit. On se fait l'amour mais
toujours sous verrou.
Dans une loge-maquillage de TF1, juste avant
un direct au J.T. de vingt heures, je retire une étamine accrochée sur
le revers de sa veste en laine peignée, et :
- Pas ta main sur moi, ici, cingle.
Tous
deux, côte à côte, lors d’un dîner en ville très affectionné par
Jeanne, où philosophes, écrivains, psychanalystes, intimes et
célébrités l’entourent :
- Tu n'es pas mon ami, s‘est dit, pour moi, en sourdine.
Trop
belle, Jeanne nage avec palmes et perfection. Je bois, moi, du café en
bout de sa ligne d'eau. Ses coudes gouttent sur le rebord carrelé
anti-dérapant. Elle étire ses lunettes de bain sur le sommet du bonnet.
Joyeux, son visage ruisselle sur ses dents badigeonnées au blanc de
Meudon . Gobelet du distributeur à café en main, je trace, accroupi, un
bref segment de frisson sur son avant bras gauche avec l'index de mon
autre main libre. Elle contresigne :
- Dois-je me répéter ? Pas en public.
Changement
de décor à vue : un rade à pas d’heure. Gérard vient de quitter,
rêveur, Lily, en verve : son ex fut, lui confia-t-elle, un trav’ en
douce.
Dans une turne sans enseigne, ni lumière franche à
l’intérieur, entouré de quelques buveurs attardés ou matinaux, il lui
reste, Jo, de la nuit devant lui.
- Un demi, s’il te plait, Papa… moins de mousse, plus de bière… t’es gentil, merci.
Gérard
avale le premier verre et implante, lui-même, le comptoir du troquet
glauque, rue Lafayette, au « Rabindranath », un resto Hindoustani, gare
de l’Est. Il soupe, encore, mais avec sa maharani. La soirée est tout
aussi prometteuse. Aux friandises, la chaise de la princesse s’agite :
- Tu descends, je t’invite ?
Ils s’engouffrent dans l’escalier à vis. Elle enfonce « Femmes », la porte du clos étroit et très soigné.
- Laisse ouvert, tu veux bien ?
Son
doti d’indiade relevé, elle enjambe le trône et contemple la fontaine
dorée au travers de la fine cotonnade « rose Malabar ». Avec le
mouillé, la craie pastel, enfantine, s’assombrit en garance. Gérard
glisse sa main sous le bock pour décoller le cartonnet du trop plein
des godets. La tache sanguine s’élargit. Il dispose ses lèvres en
rigole et déguste. Il relâche la jupe, une fois le demi tari et
l’embrasse. Ils remontent en surface, au comptoir, joyeux comme des
mômes fautifs.
- Joli cadeau, tu sais. J’organise une soirée.
J’invite des connaisseurs avertis qui paient. Ils filment,
photographient, douchent, boivent à leur guise puis achètent aux
enchères la relique humide . Les sièges se vident de public, je fais de
toi ce qu’encore, le puits peut.
L’horloge murale au dessus du
tourniquet de bouteilles retournées, donne l’ouverture de « Still More
Secure », sa boite, lointaine en vrai.
- Qu’est-ce que tu fous encore là, Gé, Gé ? T’as pas vu l’heure ?
- Comme toi, ducon. Plus personne avec qui dormir.
- Y’a surtout que je cherche pus.
- Tu prends un verre ?
Christian
sort son clope du paquet de Marlboro et le monte en bouche. Il dépose
son « FUMER TUE » à droite de son verre. Il plonge avec la même main
dans la poche de son blouson, retire un briquet avec lequel il
déclenche, au bout de la tige, le signal enfumé d’un gardien de vaches
en pensée.
- Qu’est-ce qu’on peut se faire chier, ce soir.
- T’as pas vu, en face, ils font la fête.
-
C’est quatre vingt seize balles d’euros ta demi-langouste et
demi-Clicquot sans compter que ta voisine de table aura l‘âge affiché
sur le prix du menu. Invitée, elle s’acquitte des frais de campagne
engendrés par la nouvelle équipe municipale.
- Tu fais comment avec ton clope en cas de contrôle ?
-
Papa possède déjà un chèque de moi au montant prévu par l’amende. Il
encaisse, le truc est là, s’il le faut. Aux Assedic, je suis pas obligé
de m’inscrire à la retraite tout de suite. Je cotise avec le chômedu et
j’augmente, tranquille, mon nombre de trimestres. Ah ! Quelle barbe ces
démarches administratives. Ma femme était plutôt littéraire et moi
matheux. Elle s’occupait des dossiers. Aujourd’hui, y’a pus, j'veux
mourir, c’tout.
Son regard fixe clope, demi, surtout demi.
La
promesse du président de la république, soufflée par les fronts
anti-libéraux, d’assécher les recettes publicitaires, paralyse toute la
créativité du service publique audiovisuel. Prudente, la prode de
Patrick Sébastien reporte son projet de tournage, cet été, sur mes
numéros d’équilibriste en très grandes surfaces. Ils viennent d’appeler
à l’instant, je module en fonction de la nouvelle, étape par étape, mes
dates estivales.
Lily, dans une grande pièce classique, ménage son
entrée en scène, soigne l‘effet. En coulisse, impatiente, elle ne se
demande plus pourquoi, il me reste, avant ça, tant d'histoires à
raconter.
Mes baisers, tu sais.
Pad
samedi 10 mai 2008
Cautère et baume d'Orfilie
----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le samedi 10 mai 2008 à 04:32 am
Objet : cette lettre soignée
Orfiliant comme un sou neuf,
Monsieur
F. Legendre dispense son savoir sur un site à vocation pédagogique de
la Sorbonne. Il joint à ses articles de catalogue son adresse mail.
Après une semaine délicate pour François à l'hosto et fastidieuse pour
moi à remettre mon activité de taxi sur route, suite à notre accident
Porte de Bagnolet, au retour de Lille, ce virtuose du commentaire
analytique a reçu le message suivant :
----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le mercredi 07 mai 2008 à 05:12 am
Objet : manquants
(extraits)
M. Francis Legendre,
Etes-vous marin ?
- C'est curieux les marins, ce besoin qu'ils ont de faire des phrases ! s'étonnait, avec malice, un autre Francis.
Vos phrases vous enfoncent avec certitude dans ma colère, M. Francis Legendre.
Nos
patronymes, M. Francis Legendre, nous gênent-ils tous les deux ? Je
m'appelle Estelle Jacquet. Les Legendre, eux, taquinent la renommée dès
l'année 1766. Adrien Marie Legendre, votre ancêtre mathématicien,
démontre cette année-là, définitivement, l'irrationalité de Pi.
S'émancipait-t-il ainsi un rien par 3,14 116 des liens indéfectibles
d'avec son beau-père ?
Alain Jacquet, mon oncle, le pop'artiste
français, lui, lutte à la loyale. Réinventera-t-il avec son manifeste «
Grand Déjeuner Sur L'Herbe » au bord de sa piscine californienne, notre
ridicule nom de famille à l'allure de biscottes brisées dans nos petits
déjeuners ?
Je suis sa nièce, seule héritière vivante des trésors artistiques conquis par son authentique génie pictural parfois reconnu.
J'admire
vos certitudes, M. Francis Legendre, concernant Francisco Goya. Vos
commentaires affirment sans barguigner le sens caché de ses tableaux.
«
La Lettre ou Les Jeunes », du maître espagnol, vous le mentionnez dans
votre article encyclopédique, se trouve bien à Lille, au Palais des
Beaux Arts. Il s'agit d'un prêt de la famille Jacquet, vous l'omettez.
Votre littérature savante et celle de vos confrères nous racontent les chefs d'oeuvre universels.
La
malvoyance, ce handicap professionnel majeur chez les commentateurs et
historiens de l'art, est appréciée chaque année par des millions de
visiteurs incrédules, au Louvre, par exemple.
Des kilomètres de
couloirs en parquet massif tombent sur de monumentales volées de
marches en marbre, aux intersections desquelles l'index impératif de
Keith Harring cohabite sur de hiératiques « Andy Warhol » à l'effigie
de la « Mona Lisa » scannée. Des ascenseurs discrets s'encastrent dans
du Louis XIII d'époque. A marche forcée, orientés par quelques rappels
judicieux des panonceaux routiers « Warhol-Harring », les groupes de
têtes mobiles circulent, se massent, se défont au gré des flux et des
salles. Une bannière colorée brandie à côté de moi et d'autres
guides-conférenciers, plus loin, rassemblent quelques casquettes « Von
Dutch » virevoltantes d'ici et d'ailleurs. Une vitre impénétrable
solarise avec les éclairs insaisissables des appareils photos
numériques une reproduction industrielle du célèbre sourire disparu. Le
grand Christophe, badgé sur sa chemise blanche, écarte en vain les
bras. Il ne pourra faire cesser le flashage soutenu sur cette fraction
du multiple.
L'émirat D'Abu Dabhi contracte pour 99 ans, à partir
de 2012, un bail reconductible par accord tacite entre les parties du
sfumateux portrait.
Quel lien sensible existe-t-il, M. Francis
Legendre, entre la fiction érudite de vos pairs depuis des siècles sur
la Joconda et mes visites inopinées à la Florentine ? Fidèles à cette
tradition têtue, vos phrases et « La Lettre ou Les Jeunes » ne se
reconnaissent pas, M. Francis Legendre...
... Cordialement.
E. J.
Je
vous épargne, Orfiliens, les effets nauséeux de ma mauvaise grâce. Ma «
Chronic'Orfil » décide certains de ses lecteurs à se rendre au Petit
Palais, je ne gaspillerai pas davantage les gains précieux. Vous
manifestez déjà assez votre déception d'y découvrir les œuvres dans un
éclairage aussi faible.
Aux « Nouvelles de la Colline », j'ai
rencontré Pad, cet autre blogueur, le funambule du « Blog'Orfil ». Je
réponds volontiers à son invitation de rédiger une partie de son
histoire pendant qu'il poursuit, devant nous, ses échanges avec son
amie, Jo.
François, alité pour longtemps, avale sa première gorgée
de bouillie depuis son hospitalisation. Je récupère un nouveau véhicule
professionnel à partir de lundi matin.
Après quelques pages de
pub, les ambianceurs de salle s'éteignent. Le sourire sublime de la
Toledina et le corps de Lily, la brûlure de Gérard, s'inscrivent enfin
sur l'écran de la projection...
La
célèbre et prometteuse plaque « salon de coiffure en étage » se trouve
à l'angle de la rue Royale et Place de la Madeleine : « Sonnez, Entrez,
It's on the first floor ! »
Le cérémonial escalier à double
révolution élève lentement Lily, notre visiteuse, par demi-niveaux vers
l'entrée d'un loft et depuis le pas de porte :
- Une coupe immédiate et sans rendez-vous, c’est possible ?
- Je vous en prie, entrez.
La
main souple, ouverte, désigne un vaste sofa crème. Il vous accueille
devant un gigantesque « home ciné », un jus de fruits attend dans un
seau à glace. Sur l’écran plasma « hi Tech », l’imprévisible top
mannequin, Kate Moss, défile, danse et rit, savoureuse, jeune et libre
:
- Mon rendez-vous chez un de vos concurrents, programmé toutes
les trois semaines depuis quinze ans déjà, a été annulé sans raison et
surtout sans me prévenir ! Un décès, paraît-il...
- Je suis à vous
tout de suite. Nous sommes face à une urgence, madame. Procédons
madame, procédons si vous voulez bien entrer ! Le collant à motif «
op’art » de cette remarquable hôtesse s'échappe d'escarpins à talons
hauts. Sa veste droite, stricte, s’ouvre sur un chemisier
audacieusement déboutonné, façon « Vogue, Spécial Printemps ».
Au
travers de la verrière, face à l'entrée, la massive église de la
Madeleine impose en silence, sa fonction giratoire à la circulation
automobile et la grâce de son péristyle nous invite tous à plus de
solennité.
La capillicultrice déclame :
- Je m’appelle
Alexandra ! Sa poitrine saisissante suggère les longues heures en salle
consacrées au pédalage méthodique. Une « Black Star » piercée sur le
coin droit de la lèvre supérieure fait mouche.
De la table basse en
verre et céramique, Lily pince du bout des doigts « Privée, la vie près
des stars ». Le magazine people proclame sans retenue après la tonsure
ultra médiatisée de la vedette des « teen age » : « Osez changer de
tête, sans ressembler à Britney… Spécial Cheveux ! »
- Changez ma tête, Alexandra... Donnez-moi votre avis. J’exige votre parole de femme entre femmes.
-
Pensez à Cécile de France. Cécile de France redevient brune. Elle
ressuscite ainsi son brun naturel. Quant à Victoria Beckam, elle coupe
tout pour nous épater, sauf la mèche toujours très stylisée !
Alexandra
glisse sa bouche au niveau de la tendre joue de son modèle offert. Les
quatre yeux interrogent l'immense miroir mural encadré par ses rampes
d’ampoules « Studio Harcourt ».
Alexandra, Alex, suspend tel un trophée, de ses deux mains, le visage de Lily, abandonné à l’analyse.
- Qu’est-ce qu’un homme capte immédiatement chez vous ?
...
votre peau claire et la pulpe craquante de votre bouche... imaginez les
ravages de lèvres ! Misez sur vos atouts naturels et les choix du
changement s’imposeront tout aussi naturellement... on opte pour une
coupe courte, n’est-ce pas ? et sa couleur : un «new dark side of the
moon », incontournable, non ! Le nuancier est catégorique.
-
Passez-moi mon portable, Alex, dans ma poche de veste, vous voulez bien
? Permettez, je ne serai pas longue... non, Gérard, je t'ai déjà dit de
ne pas m’appeler quand je suis en rendez-vous clientèle... non, pas
avant demain... une heure avant le départ pour Strasbourg, pas plus...
à l’Hôtel Magenta, certainement... à deux pas de la gare de l’Est, pour
un petit déjeuner... si tu y tiens ... c'est tout. A demain matin.
Excuse-moi, Alex. On peut se tutoyer ? Moi, c'est Lily. On en était où,
toutes les deux ? Ah, les lèvres, les miennes…
- La nouvelle tête, c’est pour lui ? L'homme qui vient de t’appeler, tu l’aimes ?
- Il me distrait.
Noir.
Je me retire.
Estelle.
mardi 13 mai 2008
Orfil' de la plume
----- Message -----
Pad a écrit le mardi 13 mai 2008 à 01:23 am
Objet : anciens acteurs associés
Jo, t'as déjà vu, Jo,
Le
vaste parking en partie vidé, la plus parfaite tension du filin, armé
par les deux mats solidement haubanés très au-dessus du centre
commercial et la foule joyeuse, embouteillée au milieu des caddies, qui
amusent Jeanne. Jeanne V. jouit, comme toi, du risque pris. Le vertige
aérien la comble. Un admirateur s'empresse pour obtenir d'elle un
autographe. A la cafète de l'hyper, pour la pause, les consommateurs
s'interpellent :
- T'as vu, y'a Jeanne V. Elle mange ici, avec l'as du balancier !
Et
Estelle, t'as lu ? Ma partenaire de blog, comme une véritable curieuse,
écoute. Elle trace ensuite sur sa feuille blanche des lignes sans objet
apparent. Elle construit du possible puis retouche la progression
graphique. Elle s'attarde sur un détail ou reconsidère l'ensemble. Elle
supprime une fondation qu'elle juge inutile. Tant de fois, elle repense
l'épreuve d'où jaillit d'autres perspectives qu'elle abandonne, au
besoin. Au sortir de la séance, elle coupe par un shunt lumière, et
conclut : « je me retire », alors, je m'y méprends. Sa scène, « at
Kate's funny hair cut » où Lily dessine, avec Alex, sa nouvelle tête,
Estelle nous entraînerait-elle une fois de plus vers son oncle,
collectionneur plus averti qu'inventeur d'icônes adorées par les masses
dévotes et patati et patata... J'aime cette fille. En vérité, elle est
grande. Je m'attendais à voir une gamine, petit gabarit, tondue. Un
message nous prévenait déjà, pour son crâne glabre. Je l'imaginais
chétive, la pauvrette, un piercing mal embouché sur un visage ingrat,
en abîme des nuits entières avec un portable sur les genoux, derrière
le volant de son taxi, marinant des mails recuits dans l'attente d'un
voyageur encombré de bagages, au sortir d'un aéroport ou d'une gare, à
l'affût d'un hôtel ouvert aux heures perdues, Internet comblant
l'espace laissé vacant par ses nuits d'insomnies. Est-elle réellement
la nièce de ce peintre illustre, Alain Jacquet ? Laissons son protégé,
François Ziegler, mener l'enquête depuis sa chambre de convalescence.
Le diplomate suisse possède les copies de toute la correspondance de
Goya. J'ai pu voir certains de ces précieux documents numérisés lors de
ma visite à la Pitié-Salepétrière. Le peintre espagnol y est formel, sa
démarche picturale, explicite. M. Ziegler contactera l'autre peintre,
californien d'adoption, M. Jacquet, le moment venu. Leur authentique
intérêt à chacun des membres de ce trio , Alain, François et Estelle
pour « Ennéade ou les Temps », titre ultime de cette œuvre-lègue et
très recherchée, nous disent-ils, par les amateurs, ne fait plus aucun
doute pour moi.
J'imaginais Estelle, jusqu'à ma rencontre aux «
Nouvelles de la Colline », nabote et moche. Elle est grande et vive.
Elle respire et l'ample et débite ses phrases poursuivie par les ailes
d'un moulin sous la brise. Elle transite sans gêne de la colère au
rire. Sa vitalité haletante amplifie mon plaisir à lire sa «
Chronic'Orfil ».
Suis-je jaloux ? Me demandes-tu, Jo. Tu m'écris :
-
Hier soir à Paris avec Lou, j'ai caressé quelques regrets, un amour
surgi au détour du dîner, un soir, comme traqué par inadvertance. Lou
flirt encore avec la folie des autres, les femmes. C'était tendre
pourtant.
Je m'incruste à ta table, sous l’œil goguenard de Louis Lhombre, lorsque tu me confies :
-
Un soir à Paris avec Lou, je viens de caresser quelques regrets d'un
amour surgi au détour du dîner. Qu'ai-je dit, ce soir là ? Lou flirt
encore avec la folie des autres, les femmes. C'était tendre pourtant.
Que m'as-tu dit, encore écrit ?
- Es-tu jaloux ?
Jeanne...
tu m'obliges, Jo, à parler de Jeanne V. qui se protège, là, sous
l'ombrelle inclinée à jardin de « La Lettre ou les Jeunes », exposée au
Palais des Beaux Arts de Lille. Jeanne V. dont on ignore le nom sur le
tableau de Goya et comme le tien disparaissait volontiers du champ
brûlant de Lou, auteur vorace, Jeanne V. fuit les morsures du soleil.
Quant à la Toledina, mise en scène par l'artiste à côté de Jeanne, la
discrète compagne de la Toledina, prudente et dans l'ombre, cette
Toledina poursuit, admirable et sans effort, son dos crawlé dans la
ligne d'eau, plongée au même instant, dans la feuille de papier, la
lettre de Goya, à l'aplomb des sunlights. Je m'incline sur le bord du
bassin, je retiens par précaution mon gobelet de la machine à café et
lorsque la duchesse d'Albe, Maria del Pilar, qu'Estelle nomme la
Toledina, touche au rebord carrelé, cette délicate et subtile lectrice
de Goya soulève ses lunettes de bain sur le sommet du bonnet. Elle rit.
Je l'embrasse à pleine bouche sous la lumière blanche des « Quartz » de
service qui inondent sans pudeur, la faïence ruisselante de la piscine
« Edouard Pailleron ». Estelle Jacquet l'a revu, ce fameux diptyque de
Lille, avant le trajet retour et fatal pour François Ziegler, l'acteur
humanitaire. Une intruse incivile, munie d'un dépliant publicitaire,
assise de dos, sur la banquette face à l’œuvre d'art dans la salle du
musée, au Palais des Beaux Arts, n’interdira jamais le murmure érotique
de la phrase avec sa caresse de mots et toutes leurs histoires intimes.
Estelle m'a confirmé dès notre première entrevue, rue Orfila, ce que
Francis Legendre, l'historien d'art, n'écrira pas dans son encyclopédie
en ligne. « La Lettre ou les Jeunes » ne s'analyse pas seule, sans
évoquer « Que Tal ? ou Les Vieilles » . Comment s'immiscerait ce
sourire imperceptible de la Toledina, décrit par Estelle dans son
premier message, si le visiteur du Palais de Beaux Arts n'aperçoit pas
la mort, dans le rôle de l'agent municipal chargé du nettoyage avec sa
serpillière brandie dans le panneau latéral gauche tandis que la
Toledina décatie admire dans son miroir, le rythme parfait de son dos
crawlé sur lequel s‘affiche : « Que Tal ? ». Une image, m'explique la
bouillonnante Estelle, ne s'apprécie pas sans l'écho de son voisinage,
ni celui qu'elle produit dans la perception profonde de son spectateur.
La résonance d'histoires possibles, incluse dans « La lettre » agit sur
son décor pendant que l'espace, autour de l’œuvre, modifie sa lecture
et provoque, parfois, ce plaisir diffus sur le visage de la lectrice
peinte par Goya, sa poitrine irradiante, sa longue jupe noire « encre
de poulpe », l'ombrelle inclinée de sa complice, le chuchotement des
lavandières à l'arrière et les barres de la cité au lointain mais aussi
les gémissements de ce petit chien, l’artiste lui-même, pourquoi pas,
qui mendie la caresse. Estelle, en paix retrouvée, me convainc : une
œuvre d'art ne se résume pas avec un raccourci, aussi habile soit-il.
Que notre cachot mental se fortifie sans difficulté tant sa
configuration « Joconde » est puissamment verrouillée avec « sourire »
! Aucun souffle extérieur ne ridera plus sa surface. La censure
monarchique en Espagne entretient, selon M. Legendre dans son
encyclopédie en ligne, la rumeur publique, qu'il désigne dans sa
démonstration par les chuchotements de lavandières incultes en retrait
du couple aristocratique qui, lui, s'exhibe bien en vue, sur l'avant
scène du tableau. Les sous-lettrés, confortablement enfermés dans la
section V.I.P. des certitudes carcérales échappent ainsi, par
l'éducation, à la tyrannie. Quelle clé magique ouvre la voie libre, je
vous le demande ? La lecture, ma chérie !. Si je t'ennuie, tu
m'interromps, j'ai peur de nous endormir. Pourquoi ne pas se lancer
dans la thèse plus séduisante encore, édifiée à l’aide d’une
psychologie fine et convaincante comme une évidence : un Goya devenu
sourd en 1797 sublime son handicap physique par un langage visuel
génial, peint et lu, bien entendu ! Le pauvre infirme, sourd, sauvé par
la lettre du premier plan, n'entend rien au chuchotement des
lavandières recourbées sur leurs conciliabules, au deuxième plan,
infériorisées dans leur tranchée, en contrebas. Si « La Lettre » ne se
réduit pas, selon Estelle, à une explication courte et confortable,
j'allais dire : agréable, que dire de l' « Ennéade d'un jour mais de
nuits aussi », tenue secrète jusqu'à ce jour. Cet ensemble de neuf
éléments, constitué tout au long de la carrière du peintre,
développerait donc une infinité de sens, projet inénarrable, ma chère
amie, pour un misérable article de ce blog aussi giga soit la page
d'accueil. Avec Estelle, claviériste libre, Lily et Gérard pénètre,
parions-le, par la « Sublime Porte » du récit en cours d’écriture où
le désir tâtonne comme aveugle à la découverte d‘un passage secret.
Es-tu jaloux, me demandes-tu ? Mais, bien sûr, comment peut-il en être autrement !
Et
Gérard ? Estelle, à son sujet n’a encore rien fait dire en dehors de
son rapide coup de fil asséché par une Lily irascible. On y apprend
leur départ en train, pour le lendemain vers Strasbourg. La chair
endolorie de ce buveur, je te l'avoue, me trouble beaucoup. Promis, tu
retrouveras Gérard et Lily, sa comparse, dans mon prochain message.
Tendre patience, attendre.
Je t'embrasse.
Pad.
dimanche 18 mai 2008
« Que Tal, François ? »
----- Message -----
« Rédac’Orfil », l'équipe, a écrit le dimanche 18 mai 2008 à 04:19 pm
Objet : à situation exceptionnelle
Pour
traiter cet événement majeur, survenu dans l'Orfilo'sphère, la rubrique d'infos pratiques, « info blog » est confiée, décision sans précédent, à Pad.
dimanche 18 mai 2008
info blog'orfil
----- Message -----
Pad a écrit le samedi 17 mai 2008 à 11:58 pm
Objet : so néo news
Pas à toi, Jo, mais à l'orfilade,
Alain Jacquet vient de signer. Un grand musée de renommée internationale offre, enfin, des conditions pour exposer « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi », acceptables par l'oncle d'Estelle, notre blog'orfileuse et gardienne farouche des secrets sépulcraux. François Ziegler a envoyé une copie numérique des neuf panneaux mythiques à chacun des blog'orfileurs suivants : Estelle, l'esthète insomniaque, Jo, la lyrique errante, Louis Lhombre, le démiurge dévorant, Pierre-Alain, l'hôte, Robin, l'explorateur onirique, Michaïl, le collectionneur maniaque, Jean L, le prince des poètes, Pad, votre serviteur-messager et... Jeanne V, le neuvième satellite de l'orbite orfilaire.
Soutenu par la bienveillance d'Estelle, M. Ziegler respecte à la lettre les recommandations outre-atlantiques d'Alain Jacquet. Mails après mails, l'heureux dépositaire cède un peu de son fabuleux trésor.
« La Belle Etoile », brasserie des braves de notre quartier accueillera cette ennéade de fous pour une « Ennéade de temps » autour d'un repas d'amis. De prochaines « chronic'orfiles » raconteront cette étrange compagnie et... bien d'autres histoires intimes, encore.
Orfilement.
Pad.