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Les Nouvelles de la Colline
18 mai 2008

« Que Tal, François ? »

----- Message -----
« Rédac’Orfil », l'équipe, a écrit le samedi 17 mai 2008 à 04:41 am
Objet : s'énoncer

Les "Néo-Orfiliens" écrivent ou s'écrivent. Pad, fidefériste-conteur, écrit à Jo, célèbre comédienne, régularisée "Orfilienne" par amitié. Faites comme lui, envoyez vos textes, vos idées, vos billets d'humeur, vos chroniques à :
chronic’orfil@mayfair.com

lundi 07 avril 2008
Pouvoir s'orfiler

----- Message -----
Pad a écrit le lundi 07 avril 2008 à 11:59 pm
Objet : s'épouser

Jo, ma jolie Jo,

Alors j'ai dit à Lau, tu sais, Laurence, la critique de « l'Express », je lui ai dit quand elle m'a demandé :
- Mais que fait Jo, sur des tréteaux, sous ce chapiteau à saltimbanques en lambeaux ?
J'ai dit :
- T'as pas vu, Lau, comme elle est belle, Jo ? Dis-moi, Lau, t'as pas vu Jo, non ?
On sortait de la Cartoucherie à Vincennes, ta ménagerie brillait dans la nuit, on roulait vers Paris pendant que tu repliais les accessoires de « L'Homme qui rit », vers la coulisse.
Lau, elle a dit au volant de son fiable et robuste Land Cruiser :
- Partie d'avec Brigitte Jacques, escales chez Bernard Sobel ou Christian Ritz, on ne l'attend pas forcément entre la cage du lion borgne et celle des singes catarrheux !
- Enquête plutôt, sur qui nourrit les fauves, Lau, j'ai dit, au lieu d'éplucher le rapport du contrôle sanitaire réglementé par le ministère de tutelle. A l'autre bout de la pique qui embroche la bidoche avariée de Daktari, tu trouveras John, le fondateur, devenu manchot, du bastringue de Cornouailles. On quitte tous les deux Jo, à l'instant, sur scène. Elle se donne à voir, pour nous, comme seul John, ne l’aimera jamais.
Tu as donc dîné avec Louis Lhombre, ton Lou à toi, notre poète thaumaturge parisien, en vue, à nous tous.
( « T'as vu le dernier spectacle de Lhombre. Non ? Vas-y, c'est beau. Comment dire, c'est juste et c'est beau, quoi ! » -un autre témoin, plus en verve, exulte- « Il faut absolument aller voir le dernier Lhombre, social et politique, c'est trop beau ! Jean Vilar est revenu ! » )
Pendant mes nuits encore libres, j'écris ta scène de retrouvailles avec Louis. Son personnage de l'auteur est élégant, féminin, ce qu'il faut, souriant comme l'Immaculée Saint Nazaire. Ses mains flottent, en suspension, au dessus de vos assiettes et enchantent la conversation. Sa générosité s'arrête à la subtile limite de sa courtoise retenue. Sa discrétion est bordée par sa pudeur d'apparat, prisée chez les Windsor. Le personnage féminin, le tien, est vêtue du vaporeux ensemble de Blanche dans « Un Tramway Nommé... » d'Elia Kazan. Rêvons ce tête-à-tête boîteux entre Blanche de Bois et Tennessee Williams, un soir de fol espoir. Elle porte sous son irrésistible robe de mariée, une ceinture lourdement chargée d'explosifs. La soirée se passe dans un esprit de franche camaraderie, « next age » convenu.
Je t'en dirai plus.

« Que tal, François ? », mon récit que tu reçois depuis quelques mois par épisodes, s'élabore au rythme de ma promenade-surprise. Je m'étonne moi-même, comme pour une cueillette aux morilles, découvertes souvent derrière l'arbre qu'on n'attend pas.
Te rendre visite, au centre du monde ? L'idée ne me manque pas. On en parle ?

Je t'embrasse.
Pad.

dimanche 13 avril 2008
Goya grave

Estelle, fidèle Orfilienne et chauffeure de son état, patiente souvent en file, à la station de taxi, Place Gambetta. Estelle a vu l'expo « Goya, Graveur », au Petit Palais, programmée jusqu'au 8 Juin.

----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le dimanche 13 avril 2008 à 05:23 am
Objet : cette lettre lue

Bonjour Néo-Orfiliens,

Je ne me trompe pas. Le sujet de mon récit évoqué hier dans mon dernier message à Pierre-Alain est bien le sourire imperceptible de la lectrice peinte par Goya, son torse irradiant, sa longue jupe noire « encre de poulpe », l'ombrelle inclinée de sa complice, le chuchotement des lavandières à l'arrière et les barres de la cité au lointain mais aussi ce que ne me raconteront jamais un historien d'art, un commissaire d'expo ou un conservateur de musée : la banquette libre dans la salle du musée face à l'oeuvre d'art d'où je me contemple, moi, Estelle, blogueuse épistolière. Le voisinage du panneau gauche me ricane son « Que Tal ? » cadavérique. Résonne en moi cette « seconde d'éternité » suspendue dans mon désir qui me murmure l'érotique de la phrase, la caresse des mots et bien d'autres histoires intimes encore.

Ma première rencontre avec cette divine et goyesque liseuse est une vieille histoire de famille.
Alain Jacquet, mon oncle, le pop'artiste français, somnole aujourd'hui paresseusement, grâce à son manifeste « Grand Déjeuner Sur L'Herbe », oeuvre emblématique de sa lointaine jeunesse, au bord de sa piscine californienne.
Je suis sa nièce, seule héritière vivante des trésors artistiques conquis par le fruit de son authentique génie pictural parfois reconnu. Alain possède un fond remarquable sur la correspondance privée du peintre officiel à la cour madrilène : Francisco Goya. L'accès libre à cette documentation m'a permis d'extraire de façon certaine la lettre, le double, celle que le peintre figure dans la main droite de la Toledina, lavandière plus connue sous le nom de María del Pilar, duchesse d'Albe dont l'artiste est amoureux fou. Francisco s'y attribue le petit rôle du Yorkshire-Terrier docile, frétillant et quémandeur. De son affection débordante, vous appréciez comme moi, sa mise en scène malicieuse dans une lumière de « Quartz » indécents.

A vous, chers Orfiliens, de débusquer cette lectrice présente sur une seule lithographie datée de 1819 dans l'expo du Petit Palais à Paris. Son implication scénique directe diffère mais la Toledina, la cible, est encore et toujours là.
Le diptyque exposé au Palais des Beaux Arts de Lille dont le panneau droit s'intitule, « La lettre ou les Jeunes » et le panneau gauche, « Que tal ? ou les Vieilles » est issu d'un ensemble plus vaste de neuf éléments : « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi », également en possession d'Alain et décrit minutieusement dans le courrier personnel de l'artiste espagnol.
A la demande d'Alain auprès de la conservation du musée lillois, « La Lettre » et « Que Tal ? », ces deux sujets indissociables ont renoncé à leur parade dans la Rotonde éclairée par de joyeux vitraux consacrés à la promotion des artisanats d'art dont les industriels du nord furent très friands. Pour le nouvel accrochage, un espace plus discret a été préféré dans la salle du haut, à côté des deux « Gréco », propice à l'enchantement.
Les sept panneaux absents de Lille sont entreposés dans le coffre d'une banque à New York.
Mon oncle négocie activement avec un grand musée international pour créer l'évènement majeur de ce début de siècle en matière artistique. Il révèlerait à la connaissance du public, cette oeuvre dans son intégralité, inouïe et cachée depuis deux cents ans.
Quelques heureux savent la chose pour en avoir seulement entendu parler. Dévoiler « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi » relèguera le bicentenaire du « Dos y Tres de Mayo » à Madrid au rang d'agréable péripétie.
Une telle exposition créerait un choc mental comparable à l'effet produit par la découverte des quatre gamins qui s'engouffrèrent à la suite de leur chien en 1940 dans un boyau souterrain. Ils mirent à jour, ce 12 septembre là, dix huit mil ans après leur disparition dans l'oubli, les fresques de Lascaux. Howard Carter en 1922, fascina le monde entier avec sa trouvaille : la tombe intacte de Toutankhamon. Avant Paolo Veronese, il faut se dire, Orfiliens, qu'aucun oeil n'avait vu à cet instant là de l'humanité, ce vert là.

Une envie peu commune de Caprices avec Goya vous démange. Tous les chauffeurs de taxi, Place Gambetta connaissent Estelle, la chauffeure guide. Je vous embarque pour Lille à partir du 25 avril et vous offre en prime ma traduction originale de cette lettre signée : " Francisco Goya " et intitulée : « a la Toledina (los veinte de enero, dos mil y ocho) ».
Il est un peu plus de cinq heures du matin. Je vous souhaite à tous, un bon réveil. Je planque en ce moment à Roissy 2, en course immobile toute la nuit. Il fait un temps de chien, magnifique.
Bloguez, faites-nous comprendre ce que vous croyez comprendre. Soyez patients avec Pierre-Alain, on y gagne et lui aussi.

A vous lire.
Estelle.

dimanche 27 avril 2008
c'est parti…

----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le samedi 26 avril 2008 à 05:17 am
Objet : cette lettre relue

De retour vers vous,

Je rentre à l'instant de Lille.
Au lieu d'enquêter parmi mes potes chauffeurs, autour de la Place Gambetta comme je l'ai indiqué dans mon premier message sur « Blog'Orfil », François Ziegler a trouvé plus court de me contacter par le blog en personne. Au rendez-vous pris à l'angle de la rue des bien nommés « Partants » et la rue des Pyrénées, à cinq heures du matin dans la seule Brasserie ouverte de si bonne heure, François ne cache plus sa surprise devant moi lorsqu'il découvre une femme si jeune qui lui sourit. Amateur avisé de bowling, j'imagine, il juge au premier coup d’œil dans quelle catégorie de boules classer mon crâne  impeccablement rasé de frais. Nous glissons sur l'autoroute Nord en direction de la capitale des Flandres. A dix heures, ultimes cafés bus à la baguetterie en face du Palais des Beaux Arts, François et moi patientons sous les immenses portes d'entrée qui s'ouvrent à l'heure affichée devant une esplanade lumineuse, de cette lumière douce du nord.

Je défais mon bagage, je souffle et je suis à vous.
J'ai fait part de mon amusement auprès de Pierre-Alain quant à l'apparition d'une rubrique « Petites Annonces » sur son blog. A quand celle de la météo ou bien l'autre, incontournable, celle des faits divers ? Les derniers évènements survenus dans la rue Orfila en mon absence l'alimenteront sans difficulté.

Bises orfiles
Estelle

mardi 29 avril 2008
Orfil bas

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Pad a écrit
le mardi 29 avril 2008 à 09:21 pm
Objet : urgent

Pourquoi ? Jo,

T'as pas pu t'en empêcher. Il a fallu que tu fasses ton numéro. Lau m'a raconté. Au moment de quitter les pelouses du Bois à Vincennes, après vos dates de « L'Homme qui Rit » d'Hugo, au lieu de rejoindre sans vague, votre campement d'hiver, au centre des mondes, t'es venue enfumer sur toute sa longueur, la ruelle sans fin de Lau, avec le convoi des bahuts et la totalité des roulottes processionnaires du « Burning Down Theater ». Tu t'assures des critiques bienveillantes de son canard pour les décennies à venir.
Rien d'absurde, je t'en conjure, dans son étonnement. Son imagier de lion bigleux et de singes aux supplices est un peu rude, je le reconnais, mais ?
J'aurais quand même aimé être là quand Teddy, l'apache, est descendu, impassible de la cabine du trente cinq tonnes en tête de votre kilométrique queue leu-leu. Il a sûrement croisé ses gros bras tatoués sur son bide rebondi. Les autres véhicules de la troupe, en enfilade, se sont alignés, puis immobilisés. La rue fut full, totally full et ça, au delà du bout.Tous les carrefours bloqués hurlaient à la klaxonnade pendant que Lau te servait une tasse de café, chez elle, un étage just'au dessus du tintamarre.

Oui, notre Louis Lhombre n'a pas obtenu, cette année, le prix « Louis Delluc ». Ce sera donc au tour d'Abdellatif Kechiche. Ma télé était allumée. J'ai vu le visage tendu de ton Lou au dessus de son costard de gala pendant qu'Abdellatif se levait. Le récompensé est monté sur le plateau. Il a reçu sa distinction de meilleur auteur sous les applauses de la « grande famille » du spectacle. Je me suis arraché de mon divan. J'ai enfourné une pizza du congélo dans le micro pour six minutes trente.
Qu'est devenue ma niaque pour écrire ton dîner d'amoureux en chasse croisée ? Aide-moi, Jo. J'en fais quoi de son pétard mouillé à « Blanche » sous sa douceur vaporeuse en organdi blanc, brodée de tristesse et de regrets ? Dis-moi : cette "Barbie démente" fut-elle enrôlée, telle une servante de sexe et d'agréable compagnie comme sujet pittoresque d'étude et d'écritue, selon les besoins de l'artiste ? Se reconnaît-elle, proie consentante, qu'en penses-tu ?

Je n'arrive pas à croire à ton départ définitif du « Burning Down Theater ». Et John ?

Descendre voir ton campement de base en Biscaye ? Je n'ai toujours pas trouvé de date, quelle horreur ! Cet été, je serai sur les routes de France pendant que toi, à Londres, tu accompliras le rite au « Shakespeare's Globe », anniversaire de saint William, notre patron à tous, oblige.

Ecris-moi, vite.
Pad

Vendredi jeudi 1 mai 2008
s'y frotte, s'orfile

----- Message -----
Estelle Jacquet
a écrit le jeudi 01 mai 2008 à 04:17 am
Objet : cette lettre baclée

Orfilia,

Pierre-Alain n'a pas retenu, pour enrichir son blog, ma proposition de rubrique « faits divers et avariés ». J'avais pourtant avec François Ziegler une matière riche. Un souci survenu au retour de Lille, à l'entrée de Paris, l'a dérouté vers l'Hôpital Pitié-Salpétrière. Ma « Chronic'Orfil » lui sera dorénavant dédiée sans y joindre le document filmé de la voiture accidentée, enregistré sur mon téléphone portable.
La durée de son séjour hospitalier, assez long selon son entourage, entretiendra durablement les raisons de ma rubrique. François s'est pris de sympathie pour ce blog qui distrait utilement ses nuités interrompues par les soins successifs et la noria de visites personnelles et professionnelles, le reste des journées.
François occupe un poste de responsabilité au sein de l' « O.M.S. ». Médecin de formation, ses fonctions actuelles relèvent du champ politique, à la jonction du diplomate institutionnel et du gestionnaire de sous.
Ses cheveux gras et rares, son ventre relâché, ses épaisses lunettes qu'il néglige de chausser correctement sur son visage tavelé, sa silhouette de gentil géant appartiennent à un quinqua mûr. Tout nouvel interlocuteur face à lui, l'étonne par principe et provoque souvent un sourire sur ses lèvres d'enfant qu'il efface aussitôt par une élocution laborieuse.
Laissons tranquilles Genève, New York, Devlali aussi, ce petit village indien perché sur les Gaths occidentaux d'où François revient, sa dernière mission. Nous étions restés à Lille, non ? Les salles de l'expo Goya au Palais des Beaux Arts s'ouvraient.
François, amateur d'art confirmé, connaît bien les « Caprices » rassemblés dans ces mûrs. Le bicentenaire du « Dos de Mayo » constitue un bon prétexte pour célébrer. Mon premier courriel publié dans ce blog et consacré à « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi » pique sa curiosité. L'ensemble de cette oeuvre mythique, constituée par la volonté du maître tout au long de sa vie, au grand complet et réunie chez un seul collectionneur existerait donc selon cette chauffeure avenante.
Réflexe du scientifique, François ne néglige pas cette hypothèse. Il étudie, il analyse.

A Lille, j'ai mes habitudes. Le portier de l'Hôtel au déboulé de la gare « Europe-Flandres », à l'enseigne british de circonstance,  n'est pas surpris par mon retour :
- Une ou deux chambres, Estelle ? La 404 et 406 ? Un seul soir ? Je ne vous conduis pas ?
A la sortie des « Caprichos » de Goya, j'abandonne François, quelques instants, le temps d'un détour dans la salle des collections permanentes, celle de « La lettre » et « Que Tal ? ». Une importune, de dos, feuillette un dépliant touristique. Elle s'impose sur la molesquine noire de ma banquette face au diptyque estropié de ses vérités. Je dévale, furieuse, les escaliers sans un regard pour les vitraux de la Rotonde. La Toledina verrouille son point gauche sur la hanche. Le soleil tappe sur son chemisier. Sa copine s'acharne sur le mécanisme défectueux de l'ombrelle. La mort sur le panneau gauche, faute de faux mieux affûtée, brandit une serpillière.
François m'attend au buffet du Palais dessiné de fond en comble par l'ami déco des musées, Philippe Starck. Ma colère ne faiblit pas.

Je vais défiler.
Estelle.

dimanche 4 mai 2008
une "italienne" ou un orfil'age ?

----- Message -----
Pad a écrit le Samedi 3 Mai 2008 à 11:52 pm
Objet : ciné monde en vue

Tu joues, Jo,

Dans la scène de tes retrouvailles avec Lou, j'ai distribué les rôles autrement. Je te propose celui de Lily. Lily porte la robe vague, floue et claire de « Blanche ». Ce sera la seule référence au personnage mythique du « Tramway ». Lily est une ancienne  et repentie fumeuse. Elle mordille pendant toute la scène un bâton d'anis. Elle manipule cette tige entre ses doigts effilés, mime nerveusement un porte cigarette.
Le décor est un "intérieur nuit" : un restaurant de quartier, un soir de forte affluence. La clientèle des tables environnantes est celle des résidents du quartier. Habitués des lieux, les convives s'installent aux dernières tables encore libres, selon leur entrée. Ils se reconnaissent d'une table à l'autre, se saluent.
Le personnage de Lou, l'auteur parisien en vue, ne sera plus un magicien lettré mais Gérard, un commercial, collègue de Lily, tous deux salariés d'une grosse boîte de sécurité.
Lily, s'est faite belle. Elle porte une robe à volants indociles. Elle papote cul avec Gérard qui l'écoute, assis en face d'elle, tout sourire dehors. Ils se installés à une petite table au fond de la salle d'un restaurant à deux pas de leur agence "S.M.S.", l'incontournable "Still More Secure". Les voisins du moment sont des familiers de l'endroit, des gens d'ici pour beaucoup.
Lily raconte la fin d'un désir avec un ex, l'autre, un intime prédécesseur de Gérard, candidat à la succession du malheureux :
- J'enfonce le bouton de la sonnette. Je patiente sur le palier d'entrée. Mon ami de l'époque m'ouvre sa porte. Dans l'embrasure, l'audacieux sourit, timide. Un autre homme, par derrière lui, se retire dans une pièce contiguë, muni d'un appareil photo. La prise de vue est suspendue. Les épaules mâles de mon shoot model surgissent d'une robe fourreau satinée et rouge sang. Ses poils vigoureux débordent du décolleté ou bien s'entassent en amas sur ses jambes gainées. Une perruque blonde encadre ses joues bleutées par un rasage frais. Ses lèvres fermes dégorgent d'un pot de confiture à la groseille. Le ricil soutient son regard de balourd. Il a jailli vingt centimètres plus haut qu'à l'accoutumé, surélevé par de téméraires chaussures à talons, ces cothurnes des antiques tragédiens, la troupe à Eschyle.
Je me retourne vers l'escalier, arrivée tout en bas dans le hall entrouvert, je respire l'air frais de la nuit. J'estime ma tolérance constituer une faible capacité pour l'endurance.

Lily raconte son fiasco. Gérard entend toujours et savoure au fond de la salle du restaurant. Il frémit aussitôt pour la petite culotte offerte avec insistance par une de ses anciennes amies à lui. La lingerie est transparente par devant et l'arrière s'ouvre à l'extrême du possible puisque son fond, réduit à deux sangles, se rattachent sans autre artifice à la ceinture.
- Enfile-la tout de suite, exige cette amie pernicieuse, avec son haut assorti, aussi. La vaisselle, l'aspirateur et les courses t'attendent mon chéri, comme ce magnifique accessoire oblong, mon manche à moi.
Elle a coutume, dans la rue, d'accompagner le tapotement de Gérard sur le cul par un petit sourire entendu.

Je crois savoir, Jo, comment te raconter une folie pour une autre. Mon histoire de Lily et Gérard ne sera pas entravée par nos souvenirs : la hauteur des flammes qui détruisirent l'atelier et toute l'oeuvre peinte d' Eric, le scénographe de Lou Lhombre. On ne verra pas, non plus, le corps inerte de Victor, son chef op' retrouvé au petit matin dans la chambre d'hôtel, ni la trahison amoureuse d'Elisabeth, mon assistante de l'époque, avec notre juvénile créateur d'alors, reconnu depuis, référence artistique nationale. J'interprétais dans son premier long métrage, « Très Creuse Caboche », mon propre rôle, celui du fildefériste qui à la fin, chute. Ces traces indélébiles s'inscrivirent sur le script de mon unique participation à ce monde merveilleux du cinéma.

Tu m'annonces ton retour à Paris pour fin mai. Débordé comme jamais, je programme ma tournée estivale : festivals de rue, animations sur les parkings de super marché, une télé aussi, avec Patrick Sébastien. J'ai même une date pour un gros mariage dans le bordelais !
Ton prochain séjour parisien me simplifie la vie. Je serai discrètement cet été à Londres, au théâtre du Globe. Je te donnerai la réplique dans « Ophélie » devant des milliers de spectateurs imaginaires tandis que mes chaussons à semelles de feutre glisseront doucement sur le filin rectiligne, tendu à la pointe extrême et délicate du toucher, à l'horizontale parfaite, dix mètres au dessus du vide. Mes badeaux admiratifs s'enivreront des bannières flottantes, arrimées sur les frontons d' "Intermarché".
J'insiste, excuse-moi : quittes-tu vraiment le « Burning Down Theater » ? As-tu mis ton ami John, le fondateur de la troupe, dans la confidence ?

Je t'embrasse, mon amie.
Pad

vendredi 9 mai 2008
maman, bobo'rfil

----- Message -----
Pad a écrit le vendredi 9 mai 2008 à 01:23 am
Objet : Quijote a dit

Tu m'as quitté, Jo,

Pour Lou. Quant au « Burning Down Theater », doit-il me laisser indifférent alors que tu n’es jamais vraiment partie ? Pourquoi jouas-tu masquée avec Louis ? Fut-il possible de soupçonner, à cette époque-là, votre vie d’amoureux à tous les deux ?
J'improvise, c’est mon tour, une histoire de haute voltige mais avec Jeanne V. Aucune confusion possible sur son nom, elle vient de tourner avec Guillaume L. Jeanne, aussi, exige comme toi, la dissimulation. On se voit. On se fait l'amour mais toujours sous verrou.
Dans une loge-maquillage de TF1, juste avant un direct au J.T. de vingt heures, je retire une étamine accrochée sur le revers de sa veste en laine peignée, et :
- Pas ta main sur moi, ici, cingle.
Tous deux, côte à côte, lors d’un dîner en ville très affectionné par Jeanne, où philosophes, écrivains, psychanalystes, intimes et célébrités l’entourent :
- Tu n'es pas mon ami, s‘est dit, pour moi, en sourdine.
Trop belle, Jeanne nage avec palmes et perfection. Je bois, moi, du café en bout de sa ligne d'eau. Ses coudes gouttent sur le rebord carrelé anti-dérapant. Elle étire ses lunettes de bain sur le sommet du bonnet. Joyeux, son visage ruisselle sur  ses dents badigeonnées au blanc de Meudon . Gobelet du distributeur à café en main, je trace, accroupi, un bref segment de frisson sur son avant bras gauche avec l'index de mon autre main libre. Elle contresigne :
- Dois-je me répéter ? Pas en public.

Changement de décor à vue : un rade à pas d’heure. Gérard vient de quitter, rêveur, Lily, en verve : son ex fut, lui confia-t-elle, un trav’ en douce.
Dans une turne sans enseigne, ni lumière franche à l’intérieur, entouré de quelques buveurs attardés ou matinaux, il lui reste, Jo, de la nuit devant lui.
- Un demi, s’il te plait, Papa… moins de mousse, plus de bière… t’es gentil, merci.
Gérard avale le premier verre et implante, lui-même, le comptoir du troquet glauque, rue Lafayette, au « Rabindranath », un resto Hindoustani, gare de l’Est. Il soupe, encore, mais avec sa maharani. La soirée est tout aussi prometteuse. Aux friandises, la chaise de la princesse s’agite :
- Tu descends, je t’invite ?
Ils s’engouffrent dans l’escalier à vis. Elle enfonce « Femmes », la porte du clos étroit et très soigné.
- Laisse ouvert, tu veux bien ?
Son doti d’indiade relevé, elle enjambe le trône et contemple la fontaine dorée au travers de la fine cotonnade « rose Malabar ». Avec le mouillé, la craie pastel, enfantine, s’assombrit en garance. Gérard glisse sa main sous le bock pour décoller le cartonnet du trop plein des godets. La tache sanguine s’élargit. Il dispose ses lèvres en rigole et déguste. Il relâche la jupe, une fois le demi tari et l’embrasse. Ils remontent en surface, au comptoir, joyeux comme des mômes fautifs.
- Joli cadeau, tu sais. J’organise une soirée. J’invite des connaisseurs avertis qui paient. Ils filment, photographient, douchent, boivent à leur guise puis achètent aux enchères la relique humide . Les sièges se vident de public, je fais de toi ce qu’encore, le puits peut.
L’horloge murale au dessus du tourniquet de bouteilles retournées, donne l’ouverture de « Still More Secure », sa boite, lointaine en vrai.
- Qu’est-ce que tu fous encore là, Gé, Gé ? T’as pas vu l’heure ?
- Comme toi, ducon. Plus personne avec qui dormir.
- Y’a surtout que je cherche pus.
- Tu prends un verre ?
Christian sort son clope du paquet de Marlboro et le monte en bouche. Il dépose son « FUMER TUE » à droite de son verre. Il plonge avec la même main dans la poche de son blouson, retire un briquet avec lequel il déclenche, au bout de la tige, le signal enfumé d’un gardien de vaches en pensée.
- Qu’est-ce qu’on peut se faire chier, ce soir.
- T’as pas vu, en face, ils font la fête.
- C’est quatre vingt seize balles d’euros ta demi-langouste et demi-Clicquot sans compter que ta voisine de table aura l‘âge affiché sur  le prix du menu. Invitée, elle s’acquitte des frais de campagne engendrés par la nouvelle équipe municipale.
- Tu fais comment avec ton clope en cas de contrôle ?
- Papa possède déjà un chèque de moi au montant prévu par l’amende. Il encaisse, le truc est là, s’il le faut. Aux Assedic, je suis pas obligé de m’inscrire à la retraite tout de suite. Je cotise avec le chômedu et j’augmente, tranquille, mon nombre de trimestres. Ah ! Quelle barbe ces démarches administratives. Ma femme était plutôt littéraire et moi matheux. Elle s’occupait des dossiers. Aujourd’hui, y’a pus, j'veux mourir, c’tout.
Son regard fixe clope, demi, surtout demi.
La promesse du président de la république, soufflée par les fronts anti-libéraux, d’assécher les recettes publicitaires, paralyse toute la créativité du service publique audiovisuel. Prudente, la prode de Patrick Sébastien reporte son projet de tournage, cet été, sur mes numéros d’équilibriste en très grandes surfaces. Ils viennent d’appeler à l’instant, je module en fonction de la nouvelle, étape par étape, mes dates estivales.
Lily, dans une grande pièce classique, ménage son entrée en scène, soigne l‘effet. En coulisse, impatiente, elle ne se demande plus pourquoi, il me reste, avant ça, tant d'histoires à raconter.
Mes baisers, tu sais.
Pad

samedi 10 mai 2008
Cautère et baume d'Orfilie

----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le samedi 10 mai 2008 à 04:32 am
Objet : cette lettre soignée

Orfiliant comme un sou neuf,

Monsieur F. Legendre dispense son savoir sur un site à vocation pédagogique de la Sorbonne. Il joint à ses articles de catalogue son adresse mail. Après une semaine délicate pour François à l'hosto et fastidieuse pour moi à remettre mon activité de taxi sur route, suite à notre accident Porte de Bagnolet, au retour de Lille, ce virtuose du commentaire analytique a reçu le message suivant :
----- Message -----
Estelle Jacquet a écrit le mercredi 07 mai 2008 à 05:12 am
Objet : manquants

(extraits)
M. Francis Legendre,

Etes-vous marin ?
- C'est curieux les marins, ce besoin qu'ils ont de faire des phrases ! s'étonnait, avec malice, un autre Francis.
Vos phrases vous enfoncent avec certitude dans ma colère, M. Francis Legendre.

Nos patronymes, M. Francis Legendre, nous gênent-ils tous les deux ? Je m'appelle Estelle Jacquet. Les Legendre, eux, taquinent la renommée dès l'année 1766. Adrien Marie Legendre, votre ancêtre mathématicien, démontre cette année-là, définitivement, l'irrationalité de Pi. S'émancipait-t-il ainsi un rien par 3,14 116 des liens indéfectibles d'avec son beau-père ?
Alain Jacquet, mon oncle, le pop'artiste français, lui, lutte à la loyale. Réinventera-t-il avec son manifeste « Grand Déjeuner Sur L'Herbe » au bord de sa piscine californienne, notre ridicule nom de famille à l'allure de biscottes brisées dans nos petits déjeuners ?
Je suis sa nièce, seule héritière vivante des trésors artistiques conquis par son authentique génie pictural parfois reconnu.
J'admire vos certitudes, M. Francis Legendre, concernant Francisco Goya. Vos commentaires affirment sans barguigner le sens caché de ses tableaux.
« La Lettre ou Les Jeunes », du maître espagnol, vous le mentionnez dans votre article encyclopédique, se trouve bien à Lille, au Palais des Beaux Arts. Il s'agit d'un prêt de la famille Jacquet, vous l'omettez.

Votre littérature savante et celle de vos confrères nous racontent les chefs d'oeuvre universels.
La malvoyance, ce handicap professionnel majeur chez les commentateurs et historiens de l'art, est appréciée chaque année par des millions de visiteurs incrédules, au Louvre, par exemple.
Des kilomètres de couloirs en parquet massif tombent sur de monumentales volées de marches en marbre, aux intersections desquelles l'index impératif de Keith Harring cohabite sur de hiératiques « Andy Warhol » à l'effigie de la « Mona Lisa » scannée. Des ascenseurs discrets s'encastrent dans du Louis XIII d'époque. A marche forcée, orientés par quelques rappels judicieux des panonceaux routiers « Warhol-Harring », les groupes de têtes mobiles circulent, se massent, se défont au gré des flux et des salles. Une bannière colorée brandie à côté de moi et d'autres guides-conférenciers, plus loin, rassemblent quelques casquettes « Von Dutch » virevoltantes d'ici et d'ailleurs. Une vitre impénétrable solarise avec les éclairs insaisissables des appareils photos numériques une reproduction industrielle du célèbre sourire disparu. Le grand Christophe, badgé sur sa chemise blanche, écarte en vain les bras. Il ne pourra faire cesser le flashage soutenu sur cette fraction du multiple.
L'émirat D'Abu Dabhi contracte pour 99 ans, à partir de 2012, un bail reconductible par accord tacite entre les parties du sfumateux portrait.
Quel lien sensible existe-t-il, M. Francis Legendre, entre la fiction érudite de vos pairs depuis des siècles sur la Joconda et mes visites inopinées à la Florentine ? Fidèles à cette tradition têtue, vos phrases et « La Lettre ou Les Jeunes » ne se reconnaissent pas, M. Francis Legendre...
... Cordialement.
E. J.

Je vous épargne, Orfiliens, les effets nauséeux de ma mauvaise grâce. Ma « Chronic'Orfil » décide certains de ses lecteurs à se rendre au Petit Palais, je ne gaspillerai pas davantage les gains précieux. Vous manifestez déjà assez votre déception d'y découvrir les œuvres dans un éclairage aussi faible.
Aux « Nouvelles de la Colline », j'ai rencontré Pad, cet autre blogueur, le funambule du « Blog'Orfil ». Je réponds volontiers à son invitation de rédiger une partie de son histoire pendant qu'il poursuit, devant nous, ses échanges avec son amie, Jo.
François, alité pour longtemps, avale sa première gorgée de bouillie depuis son hospitalisation. Je récupère un nouveau véhicule professionnel à partir de lundi matin.
Après quelques pages de pub, les ambianceurs de salle s'éteignent. Le sourire sublime de la Toledina et le corps de Lily, la brûlure de Gérard, s'inscrivent enfin sur l'écran de la projection...

La célèbre et prometteuse plaque « salon de coiffure en étage » se trouve à l'angle de la rue Royale et Place de la Madeleine : « Sonnez, Entrez, It's on the first floor ! »
Le cérémonial escalier à double révolution élève lentement Lily, notre visiteuse, par demi-niveaux vers l'entrée d'un loft et depuis le pas de porte :
- Une coupe immédiate et sans rendez-vous, c’est possible ?
- Je vous en prie, entrez.
La main souple, ouverte, désigne un vaste sofa crème. Il vous accueille devant un gigantesque « home ciné », un jus de fruits attend dans un seau à glace. Sur l’écran plasma « hi Tech », l’imprévisible top mannequin, Kate Moss, défile, danse et rit, savoureuse, jeune et libre :
- Mon rendez-vous chez un de vos concurrents, programmé toutes les trois semaines depuis quinze ans déjà, a été annulé sans raison et surtout sans me prévenir ! Un décès, paraît-il...
- Je suis à vous tout de suite. Nous sommes face à une urgence, madame. Procédons madame, procédons si vous voulez bien entrer ! Le collant à motif « op’art » de cette remarquable hôtesse s'échappe d'escarpins à talons hauts. Sa veste droite, stricte, s’ouvre sur un chemisier audacieusement déboutonné, façon « Vogue, Spécial Printemps ».
Au travers de la verrière, face à l'entrée, la massive église de la Madeleine impose en silence, sa fonction giratoire à la circulation automobile et la grâce de son péristyle nous invite tous à plus de solennité.
La capillicultrice déclame :
- Je m’appelle Alexandra ! Sa poitrine saisissante suggère les longues heures en salle consacrées au pédalage méthodique. Une « Black Star » piercée sur le coin droit de la lèvre supérieure fait mouche.
De la table basse en verre et céramique, Lily pince du bout des doigts « Privée, la vie près des stars ». Le magazine people proclame sans retenue après la tonsure ultra médiatisée de la vedette des « teen age » : « Osez changer de tête, sans ressembler à Britney… Spécial Cheveux ! »
- Changez ma tête, Alexandra... Donnez-moi votre avis. J’exige votre parole de femme entre femmes.
- Pensez à Cécile de France. Cécile de France redevient brune. Elle ressuscite ainsi son brun naturel. Quant à Victoria Beckam, elle coupe tout pour nous épater, sauf la mèche toujours très stylisée !
Alexandra glisse sa bouche au niveau de la tendre joue de son modèle offert. Les quatre yeux interrogent l'immense miroir mural encadré par ses rampes d’ampoules « Studio Harcourt ».
Alexandra, Alex, suspend tel un trophée, de ses deux mains, le visage de Lily, abandonné à l’analyse.
- Qu’est-ce qu’un homme capte immédiatement chez vous ?
... votre peau claire et la pulpe craquante de votre bouche... imaginez les ravages de lèvres !  Misez sur vos atouts naturels et les choix du changement s’imposeront   tout aussi naturellement... on opte pour une coupe courte, n’est-ce pas ? et sa couleur : un «new dark side of the moon », incontournable, non ! Le nuancier est catégorique.
- Passez-moi mon portable, Alex, dans ma poche de veste, vous voulez bien ? Permettez, je ne serai pas longue... non, Gérard, je t'ai déjà dit de ne pas m’appeler quand je suis en rendez-vous clientèle... non, pas avant demain... une heure avant le départ pour Strasbourg, pas plus... à l’Hôtel Magenta, certainement... à deux pas de la gare de l’Est, pour un petit déjeuner... si tu y tiens ... c'est tout. A demain matin. Excuse-moi, Alex. On peut se tutoyer ? Moi, c'est Lily. On en était où, toutes les deux ? Ah, les lèvres, les miennes…
- La nouvelle tête, c’est pour lui ? L'homme qui vient de t’appeler, tu l’aimes ?
- Il me distrait.

Noir.
Je me retire.
Estelle.

mardi 13 mai 2008
Orfil' de la plume

----- Message -----
Pad a écrit le mardi 13 mai 2008 à 01:23 am
Objet : anciens acteurs associés

Jo, t'as déjà vu, Jo,

Le vaste parking en partie vidé, la plus parfaite tension du filin, armé par les deux mats solidement haubanés très au-dessus du centre commercial et la foule joyeuse, embouteillée au milieu des caddies, qui amusent Jeanne. Jeanne V. jouit, comme toi, du risque pris. Le vertige aérien la comble. Un admirateur s'empresse pour obtenir d'elle un autographe. A la cafète de l'hyper, pour la pause, les consommateurs s'interpellent :
- T'as vu, y'a Jeanne V. Elle mange ici, avec l'as du balancier !
Et Estelle, t'as lu ? Ma partenaire de blog, comme une véritable curieuse, écoute. Elle trace ensuite sur sa feuille blanche des lignes sans objet apparent. Elle construit du possible puis retouche la progression graphique. Elle s'attarde sur un détail ou reconsidère l'ensemble. Elle supprime une fondation qu'elle juge inutile. Tant de fois, elle repense l'épreuve d'où jaillit d'autres perspectives qu'elle abandonne, au besoin. Au sortir de la séance, elle coupe par un shunt lumière, et conclut : « je me retire », alors, je m'y méprends. Sa scène, « at Kate's funny hair cut » où Lily dessine, avec Alex, sa nouvelle tête, Estelle nous entraînerait-elle une fois de plus vers son oncle, collectionneur plus averti qu'inventeur d'icônes adorées par les masses dévotes et patati et patata... J'aime cette fille. En vérité, elle est grande. Je m'attendais à voir une gamine, petit gabarit, tondue. Un message nous prévenait déjà, pour son crâne glabre. Je l'imaginais chétive, la pauvrette, un piercing mal embouché sur un visage ingrat, en abîme des nuits entières avec un portable sur les genoux, derrière le volant de son taxi, marinant des mails recuits dans l'attente d'un voyageur encombré de bagages, au sortir d'un aéroport ou d'une gare, à l'affût d'un hôtel ouvert aux heures perdues, Internet comblant l'espace laissé vacant par ses nuits d'insomnies. Est-elle réellement la nièce de ce peintre illustre,  Alain Jacquet ? Laissons son protégé, François Ziegler, mener l'enquête depuis sa chambre de convalescence. Le diplomate suisse possède les copies de toute la correspondance de Goya. J'ai pu voir certains de ces précieux documents numérisés lors de ma visite à la Pitié-Salepétrière. Le peintre espagnol y est formel, sa démarche picturale, explicite. M. Ziegler contactera l'autre peintre, californien d'adoption, M. Jacquet, le moment venu. Leur authentique intérêt à chacun des membres de ce trio , Alain, François et Estelle pour « Ennéade ou les Temps », titre ultime de cette œuvre-lègue et très recherchée, nous disent-ils, par les amateurs, ne fait plus aucun doute pour moi.
J'imaginais Estelle, jusqu'à ma rencontre aux « Nouvelles de la Colline », nabote et moche. Elle est grande et vive. Elle respire et l'ample et débite ses phrases poursuivie par les ailes d'un moulin sous la brise. Elle transite sans gêne de la colère au rire. Sa vitalité haletante amplifie mon plaisir à lire sa « Chronic'Orfil ».

Suis-je jaloux ? Me demandes-tu, Jo. Tu m'écris :
- Hier soir à Paris avec Lou, j'ai caressé quelques regrets, un amour surgi au détour du dîner, un soir, comme traqué par inadvertance. Lou flirt encore avec la folie des autres, les femmes. C'était tendre pourtant.
Je m'incruste à ta table, sous l’œil goguenard de Louis Lhombre, lorsque tu me confies :
- Un soir à Paris avec Lou, je viens de caresser quelques regrets d'un amour surgi au détour du dîner. Qu'ai-je dit, ce soir là ? Lou flirt encore avec la folie des autres, les femmes. C'était tendre pourtant.

Que m'as-tu dit, encore écrit ?
- Es-tu jaloux ?
Jeanne... tu m'obliges, Jo, à parler de Jeanne V. qui se protège, là, sous l'ombrelle inclinée à jardin de « La Lettre ou les Jeunes », exposée au Palais des Beaux Arts de Lille. Jeanne V. dont on ignore le nom sur le tableau de Goya et comme le tien disparaissait volontiers du champ brûlant de Lou, auteur vorace, Jeanne V. fuit les morsures du soleil. Quant à la Toledina, mise en scène par l'artiste à côté de Jeanne, la discrète compagne de la Toledina, prudente et dans l'ombre, cette Toledina poursuit, admirable et sans effort, son dos crawlé dans la ligne d'eau, plongée au même instant, dans la feuille de papier, la lettre de Goya, à l'aplomb des sunlights. Je m'incline sur le bord du bassin, je retiens par précaution mon gobelet de la machine à café et lorsque la duchesse d'Albe, Maria del Pilar, qu'Estelle nomme la Toledina, touche au rebord carrelé, cette délicate et subtile lectrice de Goya soulève ses lunettes de bain sur le sommet du bonnet. Elle rit. Je l'embrasse à pleine bouche sous la lumière blanche des « Quartz » de service qui inondent sans pudeur, la faïence ruisselante de la piscine « Edouard Pailleron ». Estelle Jacquet l'a revu, ce fameux diptyque de Lille, avant le trajet retour et fatal pour François Ziegler, l'acteur humanitaire. Une intruse incivile, munie d'un dépliant publicitaire, assise de dos, sur la banquette face à l’œuvre d'art dans la salle du musée, au Palais des Beaux Arts, n’interdira jamais le murmure érotique de la phrase avec sa caresse de mots et toutes leurs histoires intimes. Estelle m'a confirmé dès notre première entrevue, rue Orfila, ce que Francis Legendre, l'historien d'art, n'écrira pas dans son encyclopédie en ligne. « La Lettre ou les Jeunes » ne s'analyse pas seule, sans évoquer « Que Tal ? ou Les Vieilles » . Comment s'immiscerait ce sourire imperceptible de la Toledina, décrit par Estelle dans son premier message, si le visiteur du Palais de Beaux Arts n'aperçoit pas la mort, dans le rôle de l'agent municipal chargé du nettoyage avec sa serpillière brandie dans le panneau latéral gauche tandis que la Toledina décatie admire dans son miroir, le rythme parfait de son dos crawlé sur lequel s‘affiche : « Que Tal ? ». Une image, m'explique la bouillonnante Estelle, ne s'apprécie pas sans l'écho de son voisinage, ni celui qu'elle produit dans la perception profonde de son spectateur. La résonance d'histoires possibles, incluse dans « La lettre » agit sur son décor pendant que l'espace, autour de l’œuvre, modifie sa lecture et provoque, parfois, ce plaisir diffus sur le visage de la lectrice peinte par Goya, sa poitrine irradiante, sa longue jupe noire « encre de poulpe », l'ombrelle inclinée de sa complice, le chuchotement des lavandières à l'arrière et les barres de la cité au lointain mais aussi les gémissements de ce petit chien, l’artiste lui-même, pourquoi pas, qui mendie la caresse. Estelle, en paix retrouvée, me convainc : une œuvre d'art ne se résume pas avec un raccourci, aussi habile soit-il. Que notre cachot mental se fortifie sans difficulté tant sa configuration « Joconde » est puissamment verrouillée avec « sourire » ! Aucun souffle extérieur ne ridera plus sa surface. La censure monarchique en Espagne entretient, selon M. Legendre dans son encyclopédie en ligne, la rumeur publique, qu'il désigne dans sa démonstration par les chuchotements de lavandières incultes en retrait du couple aristocratique qui, lui, s'exhibe bien en vue, sur l'avant scène du tableau. Les sous-lettrés, confortablement enfermés dans la section V.I.P. des certitudes carcérales échappent ainsi, par l'éducation, à la tyrannie. Quelle clé magique ouvre la voie libre, je vous le demande ? La lecture, ma chérie !. Si je t'ennuie, tu m'interromps, j'ai peur de nous endormir. Pourquoi ne pas se lancer dans la thèse plus séduisante encore, édifiée à l’aide d’une psychologie fine et convaincante comme une évidence : un Goya devenu sourd en 1797 sublime son handicap physique par un langage visuel génial, peint et lu, bien entendu ! Le pauvre infirme, sourd, sauvé par la lettre du premier plan, n'entend rien au chuchotement des lavandières recourbées sur leurs conciliabules, au deuxième plan, infériorisées dans leur tranchée, en contrebas. Si « La Lettre » ne se réduit pas, selon Estelle, à une explication courte et confortable, j'allais dire : agréable, que dire de l' « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi », tenue secrète jusqu'à ce jour. Cet ensemble de neuf éléments, constitué tout au long de la carrière du peintre, développerait donc une infinité de sens, projet inénarrable, ma chère amie, pour un misérable article de ce blog aussi giga soit la page d'accueil. Avec Estelle, claviériste libre, Lily et Gérard pénètre, parions-le,  par la « Sublime Porte » du récit en cours d’écriture où le désir tâtonne comme aveugle à la découverte d‘un passage secret.
Es-tu jaloux, me demandes-tu ? Mais, bien sûr, comment peut-il en être autrement !
Et Gérard ? Estelle, à son sujet n’a  encore rien fait dire en dehors de son rapide coup de fil asséché par une Lily irascible. On y apprend leur départ  en train, pour le lendemain vers Strasbourg. La chair endolorie de ce buveur, je te l'avoue, me trouble beaucoup. Promis, tu retrouveras Gérard et Lily, sa comparse, dans mon prochain message.

Tendre patience, attendre.
Je t'embrasse.
Pad.

dimanche 18 mai 2008
« Que Tal, François ? »

----- Message -----
« Rédac’Orfil », l'équipe, a écrit le dimanche 18 mai 2008 à 04:19 pm
Objet : à situation exceptionnelle

Pour
traiter cet événement majeur, survenu dans l'Orfilo'sphère, la rubrique d'infos pratiques, « info blog » est confiée, décision sans précédent, à Pad.

dimanche 18 mai 2008
info blog'orfil

----- Message -----
Pad a écrit le samedi 17 mai 2008 à 11:58 pm
Objet : so néo news

Pas à toi, Jo, mais à l'orfilade,
Alain Jacquet vient de signer. Un grand musée de renommée internationale offre, enfin, des conditions pour exposer « Ennéade d'un jour mais de nuits aussi », acceptables par l'oncle d'Estelle, notre blog'orfileuse et gardienne farouche des secrets sépulcraux. François Ziegler a envoyé une copie numérique des neuf panneaux mythiques à chacun des blog'orfileurs suivants : Estelle, l'esthète insomniaque, Jo, la lyrique errante, Louis Lhombre, le démiurge dévorant, Pierre-Alain, l'hôte, Robin, l'explorateur onirique, Michaïl, le collectionneur maniaque, Jean L, le prince des poètes, Pad, votre serviteur-messager et... Jeanne V, le neuvième satellite de l'orbite orfilaire.
Soutenu par la bienveillance d'Estelle, M. Ziegler respecte à la lettre les recommandations outre-atlantiques d'Alain Jacquet. Mails après mails, l'heureux dépositaire cède un peu de son fabuleux trésor.
« La Belle Etoile », brasserie des braves de notre quartier accueillera cette ennéade de fous pour une « Ennéade de temps » autour d'un repas d'amis. De prochaines « chronic'orfiles » raconteront cette étrange compagnie et... bien d'autres histoires intimes, encore.

Orfilement.
Pad.

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