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Les Nouvelles de la Colline
9 août 2008

"ultra pour", lu

en cours d'installation, merci de votre compréhension; NDLR
----- Message -----
Annie Goujard a écrit le vendredi 8 août 2008 à 09:17 am
Objet : les archives à Ninie

lettre_10_05_40_copielettre_verso_10_05_40_copie

Raoul Goujard a écrit le vendredi 10 mai 1940 :

Troyes, le 10 mai 1940. Ma bien chère Louise. Je viens d'avoir ta lettre où tu me rassures sur le rhume du Duilet. Les événements se sont précipités depuis ce matin - ici alerte vers 5 heures : des avions boches à partir de  4h 1/4, tirs de D.C.A. Je n'ai pas bougé jusqu'à 6h moins dix. Bombardements, quelques bombes à Romilly, sans dégâts et sans victimes, peut-être  à Maillly. Et les permissions suspendues, naturellement - pour combien, je ne sais. Tout de même, là-bas, vous êtes mieux qu'ici ; renseignez-vous sur les abris. Ici, le quartier est paraît-il consigné ? Je ne sais pas comment la chose va être interprétée, pour coucher et manger. Je te récrirai. Quelle folie furieuse d'attaquer ces trois pays à la fois et de bombarder une ville de Suisse par-dessus le marché. Je me demande ce que pense ma mère ; il a dû y avoir aussi alerte à Brienne et tirs de D.C.A. A propos, j'ai reçu hier soir une lettre de Petitpain - il est à 3km des lignes ; il a fait 3 semaines aux avant-postes. Lui-même a demandé à monter. Il se trouve seul de réserve dans un régiment d'active. Son moral est très bon. Sa femme et Lucette sont à Magny pour le plus grand bien de Lucette paraît-il. J'espère que ma lettre t'arrivera assez vite. Ne t'inquiète pas, de toute façon. Il faut envisager la situation avec calme ; ils ne réussiront pas indéfiniment ; il y a une sérieuse résistance, paraît-il, en Hollande et en Belgique.

    Je vous embrasse très fort toutes deux. Rassure le Duilet. Je lui écrirai ces jours-ci. Raoul

p_re___duilet_copie Raoul_Duilet_pas_de_porte_copie

ici : légendes photos

et lectures X 4 lettres (docs sonores) du 10 05 40 et 13 05 40 (en préparation; NDLR)

vendredi_soir_copie vendredi_soir_verso_copie

Louise Goujard a écrit le vendredi soir 10 mai 1940 :

Kervaric, vendredi soir

Mon Raoul chéri, c'est en arrivant aux Halles ce matin après avoir conduit le Duilet au Collège, que j'ai appris la nouvelle invasion. On s'y attendait, évidemment, de nouveau, mais cela fait un choc tout de même - d'autant plus que certains avaient embelli les renseignements de la T.S.F. et affirmaient que la ligne Maginot belge avait été forcée. Les nouvelles publiées au communiqué d'1h 1/2 et que j'avais apprises au Lycée en allant voir s'il y avait une lettre de toi, ont paru aussi ce soir sur le Nouvelliste, le journal de Lorient. Ce matin on m'avait dit que Villacoublay avait été bombardé. N'achète pas de collier pour la petite - d'abord l'or est très cher en ce moment et c'est un mauvais placement - et puis tout de même cela fait presque le prix d'un bon d'armement. J'ai sorti 3.000 X de mon livret pour prendre des bons, dont celui que je te devais et que je n'avais pas encore pris. Quand vas-tu venir en permission maintenant ? D'après les journaux, il me semble qu'on ne parle que des permissions d'officiers, mais cela m'étonnerait qu'on n'étende pas la suspension à tout le monde - au moins pour un moment. Que va-t-il se passer encore cette nuit ?

    Nous étions allées hier à Kernével et le Duilet a trempé ses pieds 5 minutes tout au bord de l'eau. Il faisait un temps merveilleux - beaucoup de soleil mais un air léger. Le sable était chaud et la marée montait. Elle aurait bien voulu barboter tout l'après-midi. Ce premier contact avec la mer a stimulé son appétit. Elle avait vraiment bonne mine aujourd'hui. Elle s'est amusée gentiment dans le jardin en rentrant de l'école. Elle s'est découverte une cachette, la grande touffe de roseaux que le père Raude avait coupé cet hiver et qui commence à repousser sur les bords. Elle s'y plaît, ainsi que sur l'arbre couché.

    Je pense aux projets que nous faisions pour les grandes vacances. Si les bombardements s'accentuent, ce sera sans doute impossible - et ce sera sans doute ta mère qui sera obligée de venir par ici. Je pensais que la meilleure pièce où l'installer ce serait celle où couche actuellement la petite. Elle n'est pas grande, et c'est ennuyeux, mais elle n'est pas du tout humide et plus chaude que les autres. Avec un poêle à bois, si elle était obligée de passer l'hiver ici, ce serait la plus confortable.

    Quant à ta cousine Marie, je me demande si elle s'en sortira. J'ai l'impression qu'elle a plutôt hâté sa fin. Des opérations à cet âge-là, c'est quand même risqué.

    Écris vite, mon Raoul chéri - et oublie définitivement l'épisode du rhume du Duilet. Sais-tu que les reproches que tu me fais au début de ta lettre de mardi ne sont pas tout à fait justes - et que c'est toi, mon petit Raoul chéri, qui a monté en épingle ce petit rhume dont je t'avais dit et redit que ce n'avait rien été. Julienne est cependant de nouveau enrhumée, mais moins fortement que l'autre semaine - et il faut que je la surveille, car ce soir je l'ai encore surprise à couper le pain pou al soupe sans s'être lavé les mains et après s'être abondamment mouchée.

    Bonsoir, mon petit Raoul, je t'embrasse bien tendrement. Louise

Je fais le virement sur ton compte mais sans indiquer ton changement d'adresse ou alors j'ajouterai "actuellement mobilisé". Tu peux, dès que tu auras reçu ma lettre, envoyer une demande de fonds. On la garde 4 jours si elle n'est pas couverte à son arrivée.

5 ce matin en Dictée pour le Duilet, 9 en calcul - elle aurait dû avoir 10 mais elle avait fait une tache qui cachait un chiffre exact.

Louise__le_Duilet__famille__maisons_copie Louise__le_D

ici, légendes photos

lettre_13_05_40_copie lettre13_05_40_verso_copie

Raoul Goujard a écrit le lundi 13 mai 1940 :  ici, légendes photos

Troyes, le 13 mai 1940. Ma bien chère Louise. Ta lettre de vendredi vient de m'arriver ; c'est plus long que d'habitude, mais le retard n'est pas encore excessif. Je souhaite que mes lettres arrivent aussi vite. Après des nouvelles contradictoires, les communiqués de la radio, somme toute, ne sont pas absolument mauvais. Malgré des succès locaux, les boches sont bien loin de faire ce qu'ils veulent. L'ennui, ce sont les alertes continuelles ; hier, dimanche, une de 6 à 8 heures, seconde de 10 1/2 à 1h - 3ème de 1h20 à 6h - 4ème de 6h1/2 à 7h1/2. J'ai dû manger ici, du gigot cuit au four des boulangers très bon, mais pas de légumes, c'étaient des haricots. Cette nuit, alerte de 11h1/2 environ à 2h - je n'ai rien entendu. Georges et sa femme se sont levés un moment, pourtant, et ont ouvert les persiennes de leur chambre ; j'ai souvenir d'un vague bruit sur le matin. Nouvelle alerte de 5h à 8h ; realerte depuis 9h environ, et qui dure encore, de sorte que nous sommes tous remontés travailler. Peu d'avions, un de temps en temps. A Brienne, des bombardements avant-hier - 3 officiers tués, et dit-on encore hier, sur un train de munitions, locomotive et 2 wagons atteints, sans éclatements, heureusement. Ma mère doit voir quelque chose comme avions en ce moment, car c'est Brienne qu'ils visent. Se décidera-t-elle à partir ? et comment ? il faudrait déjà que les permissions soient rétablies. J'ai pu manger hier soir au Petit Vatel. Mais je me sens le tube digestif détraqué. Pourtant j'ai dormi cette nuit, mais c'est très fatigant de se tenir ainsi toute une journée ; j'ai passé longtemps à la boulangerie, où le plafond est très solide, bien étayé, les purs épais, avec Darsonval et le Lieutenant Thillerot de Rances ; à Perthes, près de Brienne, les avions ont laissé tomber des bombes autour d'une ferme, en bordure d'un terrain d'aviation, prenant peut-être la ferme et la choucrouterie pour des hangars. J'espère que vous n'avez pas d'alerte à Lorient. C'est tout de même beaucoup trop loin pour que des raids sérieux soient possibles. Ce qui fatigue aussi, c'est le casque, qu'on est obligé de porter si on veut sortir pendant l'alerte.

    Le Duilet fait des progrès, à ce que je vois, et j'en suis bien content. Je me demande quand je vais pouvoir venir en permission, avec tout cela, et vous ne pouvez guère revenir non plus, du moins pour l'instant. Je voudrais pourtant bien qu'elle n'oublie pas tout à fait Chaumesnil, où j'ai tant de souvenirs. Je vous embrasse bien tendrement toutes deux. Raoul

Troyes, le 13 mai 1940. Ma bien chère Louise. Ta lettre de vendredi vient de m'arriver ; c'est plus long que d'habitude, mais le retard n'est pas encore excessif. Je souhaite que mes lettres arrivent aussi vite. Après des nouvelles contradictoires, les communiqués de la radio, somme toute, ne sont pas absolument mauvais. Malgré des succès locaux, les boches sont bien loin de faire ce qu'ils veulent. L'ennui, ce sont les alertes continuelles ; hier, dimanche, une de 6 à 8 heures, seconde de 10 1/2 à 1h - 3ème de 1h20 à 6h - 4ème de 6h1/2 à 7h1/2. J'ai dû manger ici, du gigot cuit au four des boulangers très bon, mais pas de légumes, c'étaient des haricots. Cette nuit, alerte de 11h1/2 environ à 2h - je n'ai rien entendu. Georges et sa femme se sont levés un moment, pourtant, et ont ouvert les persiennes de leur chambre ; j'ai souvenir d'un vague bruit sur le matin. Nouvelle alerte de 5h à 8h ; realerte depuis 9h environ, et qui dure encore, de sorte que nous sommes tous remontés travailler. Peu d'avions, un de temps en temps. A Brienne, des bombardements avant-hier - 3 officiers tués, et dit-on encore hier, sur un train de munitions, locomotive et 2 wagons atteints, sans éclatements, heureusement. Ma mère doit voir quelque chose comme avions en ce moment, car c'est Brienne qu'ils visent. Se décidera-t-elle à partir ? et comment ? il faudrait déjà que les permissions soient rétablies. J'ai pu manger hier soir au Petit Vatel. Mais je me sens le tube digestif détraqué. Pourtant j'ai dormi cette nuit, mais c'est très fatigant de se tenir ainsi toute une journée ; j'ai passé longtemps à la boulangerie, où le plafond est très solide, bien étayé, les purs épais, avec Darsonval et le Lieutenant Thillerot de Rances ; à Perthes, près de Brienne, les avions ont laissé tomber des bombes autour d'une ferme, en bordure d'un terrain d'aviation, prenant peut-être la ferme et la choucrouterie pour des hangars. J'espère que vous n'avez pas d'alerte à Lorient. C'est tout de même beaucoup trop loin pour que des raids sérieux soient possibles. Ce qui fatigue aussi, c'est le casque, qu'on est obligé de porter si on veut sortir pendant l'alerte.

    Le Duilet fait des progrès, à ce que je vois, et j'en suis bien content. Je me demande quand je vais pouvoir venir en permission, avec tout cela, et vous ne pouvez guère revenir non plus, du moins pour l'instant. Je voudrais pourtant bien qu'elle n'oublie pas tout à fait Chaumesnil, où j'ai tant de souvenirs. Je vous embrasse bien tendrement toutes deux. Raoul

Raoul_le_duilet_grange_copie Raoul_duilet_enclos_copie

ici, légendes photos

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Louise Goujard a écrit le lundi 13 mai 1940 :

Kervaric, lundi soir, 13 mai 40

Mon Raoul chéri. J'ai trouvé ta lettre ce soir au Lycée - en rentrant de promenade avec le Duilet et la cousine Absard qui a passé 2 jours ici par la personne chez qui elle loge était absente pour les fêtes. Je m'étais un peu rassurée en lisant les journaux car je voyais qu'on ne parlait jamais de Troyes. En tous cas, ne fais aucune imprudence. Tu auras vu les bombardements à Clermont-Ferrand. Quant à nous, nous ne sommes évidemment pas en danger et les abris sont sans doute inutiles. D'ailleurs, les plus proches sont loin d'ici et il ne saurait être question de les gagner, surtout la nuit. Je ne vois pas le Duilet supportant des réveils en pleine nuit et des séjours dans une cave ou une tranchée. Et je plains les mères qui sont obligées d'imposer cela à leurs pauvres enfants. Peut-être auras-tu eu des nouvelles de Chaumesnil depuis ta dernière lettre. Tu vas être sans doute obligé de t'occuper de ta mère au début de ta permission. Je pense qu'il y aura de nouveau une lettre de toi demain au Lycée car celle-ci y était peut-être depuis hier et ne paraît pas avoir mis plus longtemps que d'habitude pour venir. (Je t'ai expédié une lettre samedi matin et écrit aux chèqes postaux). Samedi on nous a fait signer au Lycée un engagement à ne pas quitter notre résidence pendant les vacances de la Pentecôte.

    Cela ne m'étonne pas que Lucette Petitpain se porte mieux à Flogny qu'à Paris, d'autant plus que le climat est très bon par là. C'est en plein la campagne, et pas une 1/2 campagne comme Kervaric. Le Duilet va toujours bien (elle a voulu t'écrire ce matin sans aucune ligne), elle n'a pas peur. Mais je trouve que les 4 trajets de la maison au Collège la fatiguent. Il faudrait qu'elle n'y aille que le matin, mais elle ne veut pas entendre parler de cela. Je crois pourtant que ce serait très possible, car l'après-midi quand ils font un travail sérieux c'est uniquement du calcul - et elle s'y débrouille assez bien. Elle s'amuse souvent à se poser elle-même des opérations - tandsi que pour l'écriture il n'y aurait pas de danger qu'elle faisse quelque chose toute seule ! Enfin, s'il n'y a pas de trop fortes chaleurs elle peut continuer à y aller l'après-midi. Elle s'attend à te voir bientôt - elle aura du chagrin si tu ne viens pas vite. Peut-être va-t-on rébablir les permissions ?

Ecris-nous souvent, mon Raoul chéri. Nous avons eu une lettre de Marie hier. Je ne me rappelle pas si je t'avais dit qu'elle était nommée pour la visite des élèves du Lycée de St Cloud. La surveillante générale est une des surveillantes que j'ai connues à Sèvres. Ecris-nous vite - je t'embrasse bien fort et bien tendrement - et je t'envoie le gros bonsoir du Duilet.

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ici, légendes photos

lettres originales transcrites à l'identique  par Annie Goujard, fille de Raoul et Louise; NDLR

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